« J’en vois d’ici certains qui vont sourire et se dire « franchement là il exagère, je ne vois vraiment ce que ce film hollywoodien ultraclassique, au scénario simplissime, peut bien dire ! ». Devant l’écho populaire immense de ce film, il me semble qu’il faut se demander pourquoi ce film, apparemment banal, a su toucher une si large audience qui, parfois, retourne plusieurs fois le voir. Au-delà des effets spéciaux propres aux films dits ‘catastrophe’, il me semble que le succès du film – construit comme un grand drame en deux actes ponctués par les paroles de la survivante et héroïne – tient au fait qu’il réunit assez habilement les deux plus grands mythes de l’Occident : le mythe de l’amour romantique, amour passion extrême et qui croit en sa permanence -exalté depuis J.J. Rousseau – et celui du Christianisme, le don de soi qui donne sens à l’existence – « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime »-. Partons de ce qui m’apparaît comme les répliques clés du film : « Do You trust in me ? I trust in You » Ce dialogue décisif entre les deux protagonistes revient deux fois et l’on peut légitimement considérer le mot ‘confiance’ (trust) comme le mot clé du film. Peut-on vraiment faire confiance à un autre être humain ? La scène à la proue du navire lorsque Jack demande à Rose de fermer les yeux et l’ouvre finalement à un autre regard sur le monde et sur la vie n’est-elle pas une magnifique image de ce qu’est la foi ? Un acte de confiance qui fait que l’on reçoit de voir soudain toute notre vie d’un oeil neuf ? Il est devenu banal de constater qu’il y a aujourd’hui une crise de la confiance dans nos sociétés qui touche jusqu’au coeur de cette confiance, l’institution du couple. Titanic donne à voir des tempéraments entiers qui se font une confiance absolue et le personnage de la vieille dame vient juste à point pour dire la permanence de ce lien, noué pourtant en si peu de temps. Ainsi l’espérance que porte l’amour, « que cela dure toujours », se trouve confortée et affermie par ce témoignage, lancé au-dessus de 84 années de séparation, de la permanence de cet amour !
« It does not make sense. That is why I trust in it » Au moment où l’héroïne revient vers lui, Jack est interloqué et lui fait remarquer que la décision qu’elle prend de rompre avec son fiancé n’est pas ‘rationnelle’ et n’a pas de ‘sens’, « does not make sense ». Il me semble que la réplique paradoxale de Rose illustre bien le fait que l’amour véritable est de l’ordre de la foi. Il suppose que puisse être possible cet instant précieux, profondément humain, qu’est la décision : moment où toutes les raisons se trouvent comme réunies et dépassées et où l’on ne saurait douter que telle doit être ma décision. L’amour est bien plus grand que la raison seule, qu’un simple calcul d’intérêts, d’avantages ou d’inconvénients. C’est mon être profond qui se sent soudain saisi et qui veut suivre cet élan avec tout ce qu’il est. Dans cet élan se noue un faisceau de ‘raisons’ qui seront toujours autant celles du cœur que celles de la tête. Est ce rationnel ? C’est en tout cas certainement raisonnable ! Il est raisonnable de miser sur la confiance. Je ne résisterais pas au plaisir de citer encore François Marty : « A un moment donné, dans l’univers humain, la garantie ne peut être que de l’ordre de la foi ». Le caractère paradoxal de cette réponse m’a rappelé un commentaire de la parole de Thomas More quand le duc de Norfolk essaie de lui faire dire pourquoi il ne veut pas signer l’acte parlementaire qui avaliserait les décisions religieuses d’Henri VIII : « I trust, I make myself obscure ». Le moine et écrivain roumain N. Steinhardt la commente ainsi : il s’agit d’« une véritable preuve d’amitié et de confiance. Le Christ parlant, à la fin, à ses disciples comme à des amis devient de plus en plus en plus obscur (à mesure que l’on dit des choses plus importantes, à mesure que l’on se confie plus pleinement, que l’on se confesse sans réticences, il faut se faire comprendre plus difficilement et il faut user toujours plus du paradoxe) ». Les mots viennent à manquer quand il s’agit du plus intime… En d’autres termes, la justesse d’un engagement se révèle surtout à la joie qui l’accompagne et qui le suit et qui correspond à la certitude intérieure éprouvée comme sceau d’une relation humaine profonde. Comme le dit N. Steinhardt, « La foi nous procure de la joie parce qu’elle nous met en accord avec ce qui est réel ». « He saved me in all the possible meanings of that word » cette phrase magnifique qui est comme le sceau du film ne saurait être dite en toute rigueur de terme que du Christ. Mais c’est de ce fait même le plus grand éloge que l’on puisse faire de l’un de ses frères en humanité. Quelqu’un qui nous a libérés d’une vie sans but, in-sensée, qui nous a fait découvrir le prix de la vie, qu’elle est un don et qu’il s’agit de vivre dans la confiance; celui-là acquiert une dimension christique, ou plutôt il se révèle un autre Christ. N’est ce pas François Xavier qui aurait pu dire cette phrase, lui qui ne craignit pas d’écrire d’Ignace, « Mon unique Père dans les entrailles du Christ » ? En conclusion, malgré, ou plutôt en raison, de ses stéréotypes évidents, Titanic peut nous dire quelque chose de la condition humaine, et son succès est peut être à chercher dans sa description de caractères qui savent s’engager l’un envers l’autre d’une manière absolue. N’est-ce pas en définitive fort normal que les archétypes de la générosité et de la passion soient à ce point séduisants ? Certains ont en effet assez justement remarqué que les acteurs n’avaient finalement pas beaucoup d’importance dans ce film ! Et peut-être que Kierkegaard aurait apprécié Titanic lui qui affirme : le contraire du péché ce n’est pas la vertu, le contraire du péché, c’est la liberté ». »
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FILM – 07/01/1998 – de James Cameron avec Leonardo DiCaprio, Kate Winslet