S’appuyant clairement sur sa propre famille, Claire Messud nous raconte l’histoire d’une famille de pieds-noirs sur trois ou quatre générations de l’immédiat avant-guerre à l’an 2000. C’est une histoire toute simple, comme celles d’innombrables autres familles, où les choix historiques viennent se mêler aux choix personnels; tel mariage, telle décision de ne pas divorcer, tel choix professionnel. Elle tisse avec maestria les portraits en alternant les personnages et les points de vue. Du couple des grands parents, profondément catholiques (très juste reconstitution des processus mentaux catholiques des années 40-60) et amoureux toute leur vie l’un de l’autre, jusqu’au couple plus ambigu du fils aîné des premiers, elle se livre à une autopsie extrêmement fine du travail du temps dans un couple et de l’effet sur les enfants (et de comment ils évoluent sur ce qu’ils aimeraient dire à leurs parents!). C’est très bien écrit, sans effets, mais avec un sens aigu du détail et un sens tout aussi aigu de notre commune humanité. Un grand roman. Tous ceux qui aiment l’histoire des pieds-noirs, lire des reconstitutions historiques très soigneuses (les pages sur le ‘scandale Péchiney’ en 1988 sont un cas d’école) et entrer dans la longue durée de la vie d’un couple à la fois ordinaire et complexe, banal et attachant, ne seront pas déçus…
[deux remarques sur le texte: le français y est bien orthographié si ce n’est « centre commercial » qui est mis au féminin; par ailleurs la phrase « la valise ou le cercueil » n’est pas une expression traditionnelle des pieds-noirs, que je sache, mais un slogan FLN de la fin de la guerre (même s’il est apparu dès 46)]