Je ne suis pas allé voir ce film avec des pieds légers… et je n’en suis pas ressorti avec des pieds légers… D’un point de vue cinématographique, il est certes quasi parfait: le scénario, la mise en scène (comment tenir l’attention deux heures avec des journalistes faisant un travail d’enquête, lisant, discutant, prenant des notes c’est une performance), les acteurs (mention spécial à Mark Ruffalo), la crédibilité et la véracité historique et il mérite largement ses six nominations aux oscars les plus prestigieux. Particulièrement notable est la volonté de rester sobre, pudique, de ne pas trop en faire. Et je suis heureux que l’Osservatore Romano, La Croix et le reste de la presse catholique aient loué le film. Dont je rappelle qu’il est le récit de l’enquête du Boston Globe sur la façon dont l’archidiocèse de Boston a couvert pendant des décennies des prêtres pédophiles sans les empêcher de nuire. Je pourrais m’arrêter là mais je ne peux pas ne pas continuer un peu… Plusieurs réflexions me sont venues en repensant au film (et à l’histoire qu’il raconte). Tout d’abord c’est une grande peine – une souffrance réelle pour un catholique, un prêtre – de voir une institution fondée sur un homme, le Christ, qui avait une telle attention pour les petits enfants totalement ignorés en son temps, qui avait dit ‘celui qui scandalisera un seul de ces petits, il mérite qu’on lui attache une pierre au cou et qu’on le jette dans la mer’, trahir à ce point son fondateur. Et la question surgit nécessairement: comment cela a-t-il été possible? (une fois mises de côté les phrases habituelles sur le fait que les choses étaient différentes dans ces années-là…, que de tels faits existaient et existent dans bien des institutions analogues (depuis le monde juif ultra-orthodoxe (j’ai découvert un site dédié qui fait le point dans ce monde là sur ces questions) jusqu’aux équipes sportives et aux orphelinats, etc, etc)… que la masse des abus dans les familles est la base de l’iceberg, etc, etc). Le film se garde de donner une réponse. Il suggère quelque chose, à la fois visuellement par la représentation de ces églises massives au coeur des quartiers populaires et par les réponses orales des vieux irlandais qui étaient au courant: le poids d’une institution colossale dont les écoles, hôpitaux, et autres paroisses quadrillaient et soutenaient les quartiers populaires de la ville (douloureux de voir d’ailleurs que ces prêtres abuseurs formés dans les années 50/60 venaient souvent des mêmes familles que leurs victimes et avaient souvent été eux-mêmes victimes d’abus): Regarde tout ce qui se fait, tout ce que l’Eglise fait et a fait pour cette ville et cette communauté disent ces bâtiments et ces vieux irlandais… il faut du staff, on ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs, quelques pommes pourries (6% quand même…) ne doivent pas faire oublier les milliers d’autres, etc…. On sent combien, pour justifier cet engagement institutionnel, certains (à tous les niveaux) ont choisi de fermer les yeux sur les souffrances des victimes. Il y a une logique institutionnelle. Et puis il y a aussi une autre logique que l’on rencontre dans toutes les communautés humaines fortement hiérarchisées: l’absence de contrôle effectif de la hiérarchie, la difficulté de critiquer un prêtre, la gestion opaque et autoritaire de ladite institution. Et l’on comprend mieux pourquoi cette crise remet en cause le fonctionnement au quotidien de l’église catholique et appelle à des mécanismes de partage des responsabilité, à la critique de la sacralisation excessive du prêtre (que j’ai entendu encore récemment chez certains jeunes catholiques), à l’existence de procédure indépendante d’enquête, etc. Un film qui fait réfléchir et… qui fait prier… Seigneur, donne à ton Eglise – et à chacun d’entre nous – le courage de confesser ses péchés et de savoir se réformer…
© Warner Bros. France
FILM – 27/01/2016 – de Tom McCarthy avec Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams
Delphine Parquet
Et l’Oscar ! merci pour ce commentaire Marc