Ce recueil de nouvelles est situé dans le monde du shtetl, les villages juifs de la région à cheval entre la Pologne, la Lituanie, la Biélorussie et l’Ukraine actuelles. L’auteur, prix Nobel de littérature 1978, déploie son formidable talent de conteur pour décrire la vie de personnages en général aux marges de la vie du village. Il nous partage les superstitions, les coutumes et les épreuves de ces communautés juives. J’ai été frappé par plusieurs choses: d’abord la place du sabbataïsme (et son renversement moral: il faut faire le mal pour hâter la rédemption, dans un cas dans une logique proche de celle des frères Philippe), à la fois marginal bien sûr mais toujours caché et craint. Le peu de contact avec le monde goy (pour de nombreux personnages, il est dit qu’ils ne parlaient pas le polonais ou l’ukrainien) et la place centrale des mariages et remariages (avec tous les cas le veuf remarié, la célibataire endurcie, celle la réputation de sorcière, etc.). La place de la philosophie ‘moderne’ connue par des ouvrages en allemand (Spinoza qui donne son nom au recueil et à sa première nouvelle) mais aussi Schopenhauer et la place du doute et de la critique antireligieuse dans un univers encore formellement très religieux et où le rabbin du village est l’autorité suprême: on sent poindre le Bund et plus largement l’athéisme militant de la fin du 19ème début 20ème dans ces milieux. Truculent et incroyablement vivant.