Un film de Sam Mendes avec Daniel Craig, Judi Dench (2012). Ce James Bond ne se contente pas d’être un excellent divertissement. Grâce à la finesse du réalisateur et des scénaristes, il pose une bonne question. Celle-ci naît une fois que l’on se souvient du proverbe: ‘on ne peut pas être et avoir été’. ‘Comment faire encore un James Bond en 2012 ? N’est-il pas fini, dépassé, démodé ?’ La question que le film pose non seulement au personnage mais aussi au Royaume-Uni (Sam Mendes s’en explique bien dans ses interviews) et, plus largement, à l’Europe est la suivante : Que peut-on, que veut-on encore vivre ? Le reste du monde affirme tranquillement et non sans raisons : ‘L’Europe c’est fini. Oui, vous avez dominé le monde, vous avez donné le ton et exporté vos croyances et vos technologies mais votre époque est finie. Au fond, vous n’avez plus qu’à sortir de l’Histoire et à vous faire oublier.’ La question centrale est existentielle et c’est ce qui donne sa force au film. De fait, la question majeure qui se pose à l’Europe est bien celle du sens de sa vie et de son projet collectif. Confrontée à une crise démographique sans précédents, à une crise profonde des confessions religieuses qui l’ont structurée pendant des siècles, à un graduel effacement économique et à une crise globale de la culture, l’Europe est face à un défi : Veut-elle encore vivre ? A-t-elle encore une espérance collective ? Dans le film, c’est « M. », Judi Dench, qui énonce sa conviction. On l’a vu ébranlée devant les cercueils des anglais assassinés couverts du drapeau britannique : L’Europe a-t-elle encore des jeunes prêts à mourir pour leur patrie et pour l’espérance qu’elle représente ? Devant la commission d’enquête arrogante qui l’interroge, elle défend le sens du combat de sa vie et cite la fin d’un poème de Tennyson. « Though much is taken, much abides; and though; We are not now that strength which in old days; Moved earth and heaven; that which we are, we are; One equal temper of heroic hearts, Made weak by time and fate, but strong in will; To strive, to seek, to find, and not to yield. » [Bien que beaucoup ait été perdu, beaucoup demeure; et bien que nous ne soyons plus la force qui aux temps anciens déplaçait terre et ciel; ce que nous sommes, nous le sommes; Une égale nature de cœurs héroïques, affaiblis par le temps et le destin, mais forts de volonté pour se battre, pour chercher, pour trouver et ne pas céder]. Ce qu’énoncent ces vers, c’est bien le kairos européen de nos jours : Nous ne serons plus jamais ce que nous avons été dans l’histoire du monde mais nous sommes encore là. N’avons pas encore quelque chose à vivre ? Quelque chose à porter qui puisse avoir du prix pour le monde ? Sans aucune supériorité morale ou culturelle – ces jours-là sont bien finis – mais avec le sens d’un avenir encore ouvert autrement, humblement mais sans abdiquer un patrimoine dont à bien des égards nous avons des raisons d’être fiers. Oui nous ne sommes que ce que nous sommes mais ce que nous serons dépendra de ce que nous voulons encore être. Puisse la leçon de Sam Mendes être écoutée et que l’Europe retrouve un sens à son existence, à la fois chaque nation en son sein et le projet d’union dans la diversité qui lui permettra de participer au monde multipolaire et multiculturel de demain…