Un film de Jonás Trueba, avec Itsaso Arana, Vito Sanz, Andrés Gertrudix. Un couple espagnol, Alex (lui) et Ale (elle), vit et travaille à Madrid dans le monde du cinéma, lui acteur, elle réalisatrice. Ils viennent de finir un tournage et elle monte le film, travail fastidieux s’il en est. Et voilà qu’une idée leur vient (d’où?): annoncer leur séparation très prochaine mais en reprenant l’idée du père d’Ale: faire une ‘fête de séparation’, idée manifestement incongrue. Et au fur et à mesure qu’ils annoncent cela à leurs familles et amis – tout en assurant qu’ils vont très bien et que ce sera joyeux – , nous assistons à toute la gamme des réactions possibles à une telle annonce: tristesse et compassion, prise à la légère (merveilleux: vous allez pouvoir vivre un nouveau départ, etc.), incrédulité, etc. En effet, non seulement ce qui pourrait motiver une telle séparation n’apparaît jamais, et n’est jamais dit ou évoqué, mais on a, au contraire, l’impression d’un couple vraiment équilibré, heureux, se connaissant bien et se respectant, complice et simple. Certes there is an elephant in the room, l’absence d’enfants, mais le cinéaste choisit (ce qui est en soi révélateur dans notre monde et dans l’Espagne d’aujourd’hui) de n’en rien dire, ni dans un sens ni dans un autre… Cette fête aura-t-elle lieu? Est-ce une pochade, une blague qui va trop loin? Il y aura différentes lectures du film. Pourtant, le scénariste donne de nombreux indices qu’il invite les couples mariés à se réjouir de leur amour, à le fêter, à refuser que la routine et l’habitude les enkystent. Le père, une fois informé, renie son idée et donne trois livres à sa fille (magnifique réplique: « à quoi sert un père si ce n’est pas à donner une bibliographie ?»): L’un est le livre du philosophe Cavell, l’homme qui s’est penché sur la comédie de remariage à l’américaine: À la recherche du bonheur: Hollywood et la comédie du remariage. Et surtout le livre de S. Kierkegaard, La répétition. Ils vont lire ensemble une phrase clef, à mes yeux la clef du film: « L’amour de la répétition est en vérité le seul heureux car il ne présente pas l’inquiétude de l’espoir ni l’angoisse de l’aventure et de la découverte, pas plus que la mélancolie du ressouvenir ; il a la sainte assurance de l’instant présent ». A la différence d’autres critiques qui y lisent étrangement la louange de la séparation quand tout va bien, idée franchement curieuse, j’y vois l’éloge de la joie quotidienne du couple, qui doit goûter son amour et s’en émerveiller toujours. Les retrouvailles sensuelles du couple à ce moment-là du film ont une grande tendresse et beauté. Le titre original du film, Volveréis, (« vous reviendrez »), dit, selon moi, son sens profond: il est possible de retrouver la flamme, de retrouver l’état de grâce. Ce film n’est pas sans défauts: il a un côté intello, germanopratin madrilène (une société ultra-laïque où le mariage est une incongruité – ai-je dit que les héros quoique ayant presque tout du couple marié ne le sont pas et qu’elle confesse n’avoir jamais assisté à un mariage religieux, ce qui j’imagine – même dans l’Espagne d’aujourd’hui -, doit tout de même être fort rare), un peu sophistiqué et, précisément, répétitif. Mais il est porté par des acteurs excellents, un rythme tenu et un thème capital: qu’est-ce qui fait vivre un couple? Il m’a fait penser par moment à un Eugène Green, un Eugène Green agnostique et espagnol mais en tout cas un cinéaste qui n’a pas peur de s’approcher du cœur du mystère de l’amour et de le faire avec légèreté et, oui, grâce. Les personnes totalement rétives aux films intelloïdes s’abstiendront. Celles qui, comme moi, recherchent ardemment des films sachant parler des couples qui restent vivants, savent goûter la grâce qui leur est faite et se rechoisir malgré les routines de la vie, l’apprécieront je crois.