Le livre de Sandro Veronesi est à l’Évangile de Marc ce que le film de Pasolini est à celui de Matthieu : il nous fait (re)découvrir un Jésus sans cesse en mouvement. Il est fascinant de voir comment des non-croyants comme Erri De Luca, Emmanuel Carrère ou Veronesi lui-même, sont fascinés par la personne et le message de Jésus. N’étant pas des exégètes professionnels, il leur certes arrive de laisser passer quelques petites coquilles (que l’histoire de David soit dans le Lévitique en est une belle) mais ils ont cette incomparable vertu de nous faire réentendre l’Évangile avec des oreilles neuves. Sur certains points, Veronesi n’innove pas mais présente lumineusement des résultats classiques : par exemple, que l’Évangile de Marc est destiné à des non-juifs, des Romains. Ou encore que l’Évangile accable régulièrement les disciples, les Douze, pour mieux mettre en valeur l’acte de foi tout simple de gens qui n’ont rencontré Jésus qu’une seule fois. ‘Vous aussi vous pouvez le faire’ dit-il en substance. Personnellement, j’ai été très touché par cette idée que Jésus aimait la mer (enfin le lac mais le mot est le même en hébreu) et que l’Évangile de Marc pouvait être qualifié de ‘boat movie’. «Jésus est un homme de mer. ‘And Jesus was a sailor… And the sea shall free them’. Jamais, peut-être, un juif ne s’est approché du sens profond de l’Évangile de Marc comme Léonard Cohen dans ces vers extraits de Suzanne» (52) écrit-il. De fait, je n’avais jamais prêté assez attention au fait que le terrien de l’intérieur qu’est Jésus de Nazareth aimait beaucoup la barque (où il pouvait même dormir) et avait choisi de vivre soit au bord soit sur le lac. Il a raison aussi d’insister sur le contact corporel avec Jésus : «Dès le point de départ […] s’affirme la puissance que Marc assigne et assignera au corps de Jésus : seule sa présence, seul le contact physique avec lui, font fonctionner le dessein messianique» (144). Sur certains points du livre, il m’est impossible cependant de ne pas être critique : quand Veronesi affirme, en passant, qu’ «un des choix de Marc consiste en effet à conserver la radicalité primitive du Christ à l’égard des juifs. Le Christ dit ‘votre religion est finie et bien finie. Plus rien n’y tient debout’» (18), je pense qu’il se trompe de beaucoup. Jésus est venu accomplir une mission qui commence par les brebis perdues de la maison d’Israël dans la ligne d’Ezéchiel 34 et pas fonder une «nouvelle religion destinée à remplacer l’ancienne» (43). Il n’est pas très pertinent non plus de comparer les apôtres en mission aux terroristes islamistes sous prétexte que Jésus a dit «qui n’est pas contre nous et pour nous» (67) et, s’il a raison de souligner la christologie de l’ambiguïté élaborée par Jésus, je ne pense pas pour autant que celui-ci «emploie la formule ‘le fils de l’homme’ qui s’adresse donc à tous les hommes » (46), sans faire allusion à Daniel 7. Bref, un livre vif, suggestif, témoignant d’une vraie familiarité avec le récit de Marc. Un livre à lire (il se lit vite), à recommander et à offrir (en indiquant tout de même que l’on peut avoir certaines réserves et qu’il ne s’agit pas d’une vision catholique (élément qui contribue en fait à sa popularité !)), notamment à des amis incroyants et curieux.