Disons-le d’entrée : est importante. Comme celle de N. Eubanks sur Matthieu (cf. Bulletin 2016, n°37), elle se situe dans le courant de recherche inauguré par le travail de Gary Anderson (Sin: A History, 2010) qui est l’un des principaux éxégètes à suivre aujourd’hui. S’appuyant sur une très bonne connaissance de la littérature qumranique et hénochienne, l’auteur choisit de privilégier trois péricopes lucaniennes (Lc 7,36-50 ; 10,25-37 ; 16,1-31) pour étudier la fécondité de l’approche d’Anderson selon laquelle existait une théologie des ‘trésors dans le ciel’ et de l’aumône considéré comme le moyen par lequel les hommes peuvent répondre à la miséricorde de Dieu. L’état de la question (5-25) est un modèle du genre. Il fait une belle lecture des paraboles trop longtemps détachées de leur contexte narratif. Quelle est l’originalité de Luc par rapport à Matthieu sur ce thème ? « Cette conjonction du pardon divin des péchés effectué par Jésus et la corrélative miséricorde économique de la part des pécheurs est propre à Luc » (67). Il peut ainsi conclure que, « contrairement aux affirmations de beaucoup, Luc s’approprie activement la notion de l’époque du Second Temple du péché comme dette » (126). Ce qui est peut-être le plus frappant chez Luc (notamment Lc7,36-50) est l’identification allégorique de Jésus avec le créditeur qui remet les dettes/péchés. Chez Matthieu, cela est réservé à Dieu. L’auteur consacré un long excursus (il aurait pu lui consacrer un chapitre à part entière) à la prédication de Nazareth (4,16-30) et à sa théologie du jubilé. Dans le chapitre suivant (141-208), il effectue une exégèse serrée de la parabole du bon samaritain mettant en valeur des éléments souvent négligés (comme la conclusion) et il met en valeur l’enracinement de Luc, tout hellénistique qu’il soit, dans le judaïsme de l’époque en relevant un parallèle entre Luc et CD 6,20. Dans le quatrième chapitre consacré à l’homme riche (209-282), il montre les parallèles entre Lc 16,19-31 et Lc 15,11-32 présentées comme des « histoires-sœurs » (239). Luc adopte l’interprétation juive populaire de Pr 10,2 : « Bien mal acquis ne profite jamais : c’est la justice [comprendre l’aumône] qui délivre de la mort », où il faut comprendre la fin au sens fort. Le dernier chapitre se penche sur la théologie lucanienne à la lumière des pages précédentes. Il observe que Luc est l’auteur central du NT lié à la fois aux synoptiques et à Paul tout en ayant une relation spéciale avec Jean. Alors que chez Matthieu, Jésus est radicalement identifié au pauvre, bénéficiaire de la miséricorde (cf. Mt 25), chez Luc, « Jésus est celui qui fait montre de miséricorde, non celui qui en bénéficie » (289), et celui qu’il s’agit d’imiter. Il note aussi que cette médiation de Jésus a chez Luc un caractère sacerdotal comme le montre sa conclusion en Lc 24,50-53. Il s’agit d’un travail exégétique qui est en même temps profondément théologique puisqu’il touche nécessairement aux questions qui, depuis la Réforme, ont occupé une place considérable dans la théologie chrétienne. « En continuité avec une vision du monde juive bien enracinée, Luc accepte l’idée que, comme le péché contracte une dette, de même le crédit s’accroit en accomplissant des œuvres de charité, au point même de mériter la résurrection » (304). Le langage est clair, direct et précis. Et l’on se réjouit de voir un jeune américain qui lit l’allemand et le français. Un ouvrage indispensable à qui étudie Luc.
Recension parue dans les RSR en 2019