Les deux auteurs montrent très bien l’ancienneté des représentations mythiques sur les tutsis et les hutus, avant même la colonisation, dès les ‘explorateurs’ des années 1850 (marquées par un mélange entre lectures bibliques datées et imaginaire indo-européen) et combien ces représentations ont été récupérées par le royaume et une partie de l’élite tutsie. Ils fournissent une liste impressionnante de citations montrant la reprise infinie (notamment en milieu catholique mais, au fond, partout, de l’extrême gauche à l’extrême droite) des mêmes vieilles lunes racistes (par une sorte de paresse intellectuelle pratique). Bref, ils démontent très bien le ‘mythe’ (pour faire ultra simple: les envahisseurs nilotiques dominant des paysans hutus) mais je regrette un peu qu’ils ne suggèrent pas – ou ne proposent pas (dans ce livre car on me dit que JP Chrétien notamment a écrit d’autres livres répondant en partie à ces questions) – d’alternative clairement définie à l’ancien paradigme. Du coup comment raconter l’histoire de cette région avant 1850? Comment s’est mis en place cette distinction? Etait-elle sociale? culturelle? professionnelle? L’aspect physique différent est-il lié à la consommation de lait et de viande (d’où la taille) ou à autre chose? Est ce une ségrégation sociale à l’œuvre sur plusieurs siècles soulignant la différence entre pasteurs et agriculteurs (la question des ‘clans ‘ (‘ubwoko’, qui ne signifie pas exactement la même chose au Rwanda et au Burundi) comprenant les trois groupes me semble très significative (car, pour le coup, personne ne nie l’originalité du ‘groupe’ twa, les pygmées); ces clans existent-ils au Burundi suivant la même logique ou pas?). Ils sont un argument puissant contre la thèse d’une ‘invasion’ extérieure en tout cas violente ou massive (dont on ne trouve pas trace dans l’histoire). Peut-on faire le point sur la question génétique de façon scientifique ? Au fond, qu’enseigne-t-on aujourd’hui dans les écoles au Rwanda sur la question de la différence Tutsi/Hutu qui ne fasse pas appui sur les idéologies d’avant 94 et soit historiquement solide? Ce qui est sûr, c’est que cet ouvrage montre l’importance décisive de l’idéologie dans l’histoire et la prégnance des » identités imaginaires ». Comment déconstruire des visions enseignées et répétées pendant des décennies dès l’école? Cela m’a souvent rappelé ce qu’il en a été des Juifs en Europe d’une part en Espagne avec la question de la limpiezza de sangre et ensuite en Europe centrale à partir du 19ème avec l’antisémitisme racial théorisé. Pour quiconque s’intéresse au Rwanda (et au Burundi, qu’il e faut pas oublier tant son histoire est à la fois bien différente et proche).