Sur le fonds d’un divorce dévastateur lié au départ de son épouse, le narrateur évoque avec nostalgie et précision les années 70, le monde d’avant le portable et l’hypermarché, d’avant les réseaux sociaux et les cartes de fidélité. Il pointe avec une lucidité poétique les changements que les nouvelles technologies ont amené dans nos vies. Il rejoint ainsi par exemple sur ce point le récent Happycratie: « On ne devrait jamais oublier la douleur. Il faut lui rester fidèle. Elle relève du sacré. La résilience, quelle connerie ! Laissons le développement personnel aux marchands du temple. La douleur physique et morale est un révélateur de la vérité au milieu de la forêt de nos masques et de nos ruses ». La sécularisation avec ses conséquences tristes est décrit comme en passant mais le constat est impitoyable: l’absence de la foi fragilise toutes les fois que les humains se donnent… Qui dira que le divorce, même urbain, même non imposé, n’est pas une faille qui ébranle en profondeur ? Le fait que j’ai l’âge de l’auteur fait que nos souvenirs se recoupent sur plusieurs points (Orly et les vacances, les déjeuners du dimanche, les descentes en voiture dans le sud (et non en Bretagne c’est vrai!), les Playmobil et autres Rubyks’cube, des descriptions du pays et de ses stations service, etc). Dénonciation du consumérisme; éloge des vacances ordinaires et des églises de campagne: « Je n’avais pas honte devant Dieu et la Vierge Marie, « bénie entre toutes les femmes ». Marie dans sa beauté magnanime me semblait au-dessus des luttes de pouvoir et de territoire. Elle me recueillait, venait à mon secours pour épargner mes enfants. C’est elle qui adoucissait la colère de Dieu tombée sur moi comme sur Job. Le bonheur se détourne de vous et Satan frappe de sa faux avec jubilation. Il faut nourrir la roue du malheur. Dans les églises, je n’avais plus honte. Je m’y réfugiais, seul. Je m’extirpais de la furie extérieure qui m’abîmait. Bien sûr, je nous revoyais au temps de l’échange des consentements, devant l’autel, dans le chœur. Notre époque tournait le dos au catholicisme. Les églises se transformaient en centres culturels. Et pourtant, quand nous serions appelés au Royaume des morts, nous devrions bien nous accrocher à Dieu dans notre solitude : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère et j’y retournerai nu » ». Vous les couples heureux, mesurez ce que vous avez, soyez dans la gratitude et faites tout ce que vous pouvez pour ne pas entrer dans le mutisme indifférent, dans le jeu des apparences ! Combien de paragraphes tellement bien vus sur notre monde et notre société! Ce qu’il dit sur le rapport au temps et au burn-out fait écho aux réflexions de Byung-Chul Han sur cette question. Ses pages sur la crise écologique sont brûlantes et justes. Un roman personnel (la récurrence de la perte d’un jumeau à la naissance le dit éloquemment) et universel, honnête et lucide, poétique et sociologique en égale mesure, qui vaut bien des ouvrages dits savants! Le chrétien que je suis y verra, in fine, un cri muet et violent vers le Christ, en même temps ignoré et désiré au plus profond… Et la langue est à la fois belle et simple.