Philosophe des sciences, essayiste reconnu dans le domaine du changement climatique (cf. Face à Gaia, 8 conférences sur le nouveau régime climatique, 2015), Bruno Latour montre comment la radicalité du ‘nouveau monde’ dans lequel nous sommes en train d’entrer – suite à nos actions humaines depuis des décennies – vient faire voler en éclat les anciennes catégories politiques (droite et gauche, conservatisme et progressisme, etc.). Les êtres humains ont une extraordinaire capacité à refuser de voir la réalité en face et l’élection de D. Trump en est un bel exemple. Mais derrière l’élection de cet homme, tout comme derrière le Brexit et la force de la tentation du repli sur un territoire national, se trouvent des faits têtus qu’il nous fait voir en face (et certaines élites qui font sciemment le choix de sacrifier le futur tandis que le Titanic sombre). Essayer de comprendre un peu mieux ce qui arrive à la planète et à l’humanité, le visualiser, tel est son projet. Tonique, pédagogique, ce court essai nous aide à mieux comprendre dans quel « monde » nous vivons. Nous prétendons, surtout dans l’orbite de la civilisation occidentale, être des êtres rationnels, réalistes et favorables aux sciences. Pourtant la raréfaction des ressources, le fait que la ‘croissance’ pour tous à la façon des USA est strictement impossible pour la planète, ne nous ont pas empêché de continuer à foncer, de façon exponentielle de 1950 à aujourd’hui, vers le mur… Une citation qui m’a donné à penser pour finir: »Il est clair qu’on ne peut faire l’éloge de la rationalité sans reconnaître à quel point elle a été abusée par la quête du Global [le vaste mouvement dit de ‘mondialisation’]. Comment prendre pour ‘réaliste’ un projet de modernisation qui aurait ‘oublié’ depuis deux siècles de prévoir les réactions du globe terraqué [le monde en tant qu’il est habité par des humains] aux actions humaines? Comment accepter que soient ‘objectives’ des théories économiques incapables d’intégrer dans leurs calculs la raréfaction des ressources dont elles avaient pourtant pour but de prévoir l’épuisement? Comment parler d »efficacité’ à propos de systèmes techniques qui n’ont pas su intégrer dans leurs plans de quoi durer plus de quelques décennies? Comment appeler ‘rationaliste’ un idéal de civilisation coupable d’une erreur de prévision si magistrale qu’elle interdit à des parents de céder un monde habité à leurs enfants? Pas étonnant que le mot rationalité soit devenu quelque peu effrayant. Avant d’accuser les personnes ordinaires de n’attacher aucune valeur aux faits dont les gens dits rationnels veulent les convaincre, souvenons-nous que, s’ils ont perdu tout sens commun, c’est qu’ils ont été magistralement trahis » (86). A méditer (ainsi que le reste de ce livre)…