Un professeur de philosophie se penche sur le statut contemporain du croire – en France, en contexte chrétien – et, pour y voir plus clair, entreprend de relire quelques auteurs de la tradition philosophique en vue de montrer qu’ « on s’apercevra que notre siècle ressemble au XVIe siècle » car « nous aussi, nous souffrons d’une maladie du croire : foi faible/doute faible ». J’avoue que j’attendais un essai plus personnel sur le statut du croire aujourd’hui et, par moments, au début et à la fin, on trouve quelques éléments plutôt bien vus sur le sujet mais la thèse défendue est d’emblée minimisée par l’affirmation juste ce me semble : « Non pas qu’auparavant les hommes croyaient mieux. Ne laissons pas se glisser dans nos propos un soupçon de nostalgie pour les anciens temps parce que la créance y aurait été plus assurée et parfois de bonne tenue. Il a toujours été difficile de croire ; c’était une épreuve de se tenir fermement dans la foi professée ». Il dénonce au passage discrètement la récupération « politique » du christianisme dans l’Europe vieillie: « Car le danger est de revenir au christianisme pour de mauvaises raisons, qui ne seraient que d’opposition et par réaction et, pour tout dire, par peur de ce qui nous menacerait » et pointe avec justesse la faiblesse du discours sur les ‘valeurs’: « Le discours sur les valeurs ne peut être que nostalgique. Au sens strict, il n’y a pas de «valeurs actuelles». Quand elles étaient vivantes et actuelles, elles devaient nécessairement être perçues comme des «biens», et l’humanité n’avait pas à les soutenir, puisqu’elle-même y recevait son être. Ce n’est qu’après les avoir perdues qu’elles purent lui apparaître comme des «valeurs » » et décrit bien la situation sociologique actuelle du croire: « Dans le marché mondialisé des croyances, les couches aisées de la population inclineront alors vers un bouddhisme zen occidentalisé [cf. Harari commenterais-je] qui leur servira d’«antidote à la tension anxiogène» propre à la dynamique capitaliste, et fonctionnant par rapport à celle-ci comme «son parfait supplément idéologique» ; de leur côté, les couches plus défavorisées pencheront plutôt vers l’évangélisme ou l’islamisme pour autant qu’elles se sentent exclues au contraire du capitalisme global ».
Mais la traversée des auteurs, Montaigne, Descartes, Nietszche puis Sartre, est parfois assez laborieuse et fait penser à un cours de prépa. En outre, je ne comprends pas le choix du style d’écriture, très précieuse et archaïsante (je ne suis pas sûr que cela soit voulu…) qui rend les phrases pesantes alors même qu’elles cherchent l’élégance (du moins me semble-t-il). La conclusion – « Autrement dit, la foi ne semble devoir compter à présent que sur nos seules forces. Coupée dans son élan, privée de ses anciens ancrages dans la société, elle ne peut relever aujourd’hui que d’une décision. Et c’est ce qui la rend impossible pour nous. Il ne s’agit pas de contester la nécessité de faire acte de foi ou que la volonté lui appartienne comme un de ses éléments essentiels, fût-ce pour consentir à la foi reçue et lui demeurer fidèle. Mais y suspendre la foi tout entière ne peut qu’entraver dès sa naissance l’impulsion première et immédiate qui nous en fournirait ne serait-ce que le désir » – ne me parait pas inévitable (la foi a, au fond, toujours vraiment relevé d’une décision personnelle et cela ne la rend pas « impossible » en soi). De par mon histoire familiale et ma sensibilité, je suis également un peu déçu qu’un homme aussi petit et inintéressant que Sartre ait un tel espace dans la partie finale (la concessive « Si des réticences nous empêchent d’accompagner Sartre jusque dans ses conclusions » me paraît franchement minimale et curieuse).
Ces réserves mises à part, c’est un livre à verser au dossier de la question du statut de la foi, religieuse ou pas, dans la société française de ce début de 21ème siècle. Les citations les plus percutantes viennent de Henri de Lubac judicieusement mobilisé comme dans celle-ci: « Tantôt nous retenons que Dieu s’est donné au temps de sa venue, mais nous pensons que le don, le message et la vie du Christ sont épuisés. […] Tantôt, en sens inverse, nous oublions que Dieu s’est donné en personne, absolument, pour croire que tout est à inventer, que l’Église n’a pas d’héritage »