Un film de Cary Joji Fukunaga avec Daniel Craig, Léa Seydoux, Rami Malek, Ana de Armas, Ralph Fiennes, Lashana Lynch, Christoph Waltz. Que dire de la fin d’une époque?! Celle de Bond certes mais aussi celle d’une certaine Europe, d’une certaine Grande Bretagne et d’un certain rapport au monde? Alors oui, il y a un côté à la fois nostalgique et crépusculaire dans certaines séquences mais ce n’est pas le dernier mot du film (qui a ses moments d’humour et d’émotions). Confessons d’emblée: le film n’atteint pas au niveau de Skyfall et, sans être en rien ennuyeux (il contient toutes les séquences d’action qu’il faut et plutôt bien filmées tout comme les attendus, le martini, le ‘James, James Bond’, etc.), il n’est pas transcendant dans sa réalisation. Les acteurs sont bons voire très bons avec une mention spéciale à Ana de Armas éblouissante dans sa courte scène.
Revenons sur le fond qui est à la fois anthropologique (l’être humain de toujours dans ses motivations de toujours) et sociologique (au sens où il révèle des traits de notre société actuelle). Celui qui a lu Ian Fleming sait que l’espion Bond est un homme froid, dur, cruel, pas particulièrement drôle sans parler de son donjuanisme cynique et daté mais les films, surtout d’il y a 20 ou 30 ans, nous ont mis en tête un autre Bond, plus léger, drôle et gentleman. Or, depuis le début des épisodes Daniel Craig, les scénaristes se sont efforcés de rendre Bond plus dur, plus crédible, plus complexe, plus vulnérable aussi du coup. On peut le regretter par rapport à l’œuvre écrite et au début de la franchise, mais cela est tout de même mieux, il me semble, au plan humain. Le moteur quasi exclusif de l’action était la bonne vieille vengeance bâtie sur le non moins solide complexe d’infériorité travesti en volonté de puissance. Or, ici, nous découvrons tout simplement la force de l’amour: cucul peut-être mais sérieusement y a t-il quelque chose de plus important, surtout pour un croyant?! Et, au plan sociologique, il est pris acte de la fin de la domination inconsciente et ‘naturelle’ de l’européen (quoiqu’en partie seulement car le Royaume Uni pourrait-il sérieusement avoir une flotte au large des Kouriles sans que les Russes ou les Américains ne tiquent?! Nul ne le croit) et du métissage varié de nos sociétés: serait-il possible à la franchise Bond de le passer sous silence? Pourrait-on faire en 2021 des films comme en 1961? Je ne pense pas que cela soit possible (ni souhaitable!)… Alors me reste une image à creuser du générique (sublime d’ailleurs: un des plus réussis je pense): cette magnifique statue grecque, de style Athena, munie d’un grand bouclier frappé quasi subliminalement de l’Union Jack, et qui s’enfonce peu à peu dans le sable: signe de la fin d’un monde, de la fin de Bond, de la fin de la Grande Bretagne? Mais le dernier mot n’est pas à la mort ni au défaitisme mais bien à l’espérance et à la vie. « Le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, « naturelle », c’est finalement le fait de la natalité, dans lequel s’enracine ontologiquement la faculté d’agir. En d’autres termes : c’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau l’action dont ils sont capables par droit de naissance. Seule l’expérience totale de cette capacité peut octroyer aux affaires humaines la foi et l’espérance. C’est cette espérance et cette foi dans le monde qui ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur ‘bonne nouvelle’ : ‘Un enfant nous est né’ » (Arendt, Condition de l’homme moderne, Œuvres, Gallimard, p. 259), superbe phrase qui n’a que le défaut d’oublier le saint prophète Isaïe – le christianisme est un isaianisme – : « les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés : le feu les a dévorés. Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! » (Is 9,6), apte fin pour un agent 007 qui a toujours représenté plus que lui-même…