Une série Netflix avec Mehdi Dehbi, Michelle Monaghan, Tomer Sisley.
Cette série de dix petits épisodes (qui annonce certainement une suite… qui ne sera facile à écrire) est un sacré pari et n’est pas sans qualités. Déjà il faut louer le courage des producteurs et scénaristes de se lancer dans un tel projet : imaginer la venue dans le monde d’aujourd’hui d’un homme qui pourrait être considéré par certains comme un messie, un envoyé de Dieu. Quatre observations : [à lire plutôt si vous avez vu la série, sinon à vos risques et périls !]
a) Il y a un fond de géopolitique réaliste dont la base est le conflit le plus brûlant et médiatique ; le conflit israélo-palestinien. Il est la toile de fond permanente du récit même quand on semble s’en éloigner. Et s’il y a une dimension ‘nationale’, il y a aussi une dimension ‘religieuse’. Les personnages du monde musulman d’une part (l’Iran) et musulman d’autre part (Syrie, Jordanie, Cisjordanie) ont une part forte de la série et ne sont pas des faire-valoir. Ni Israël ni les Etats-Unis ne sont montrés sous un jour vraiment flatteur, au contraire ; L’hébreu et l’arabe sont parlés fréquemment, surtout au début et à la fin, et ont de vrais dialogues et de vrais ‘lines.’
b) mais l’originalité des scénaristes – qui prend manifestement de court une partie des spectateurs est de vouloir aussi parler de thématiques intimistes propres à l’humanité sous toutes les latitudes : les couples séparés (Avi et Mika) ou désunis (Felix et Anna), les difficultés parents-enfants, avec une adolescente ou un père très âgé, l’infertilité et le grand-âge, et bien sûr la question de la foi qui unit ou sépare. Cela donne des séquences très méditatives, très psychologiques, très lentes où l’intrigue proprement dite n’avance pas vraiment (effet de frustration pour certains), mais où la densité des personnages augmente.
c) Il y a un louable effort de parler du sens de la vie, de la question de la foi au plan métaphysique en refusant de donner l’une ou l’autre réponse et en montrant des personnages qui ont diverses positions, de l’athéisme convaincu (Aviram), à la foi (Felix) en passant par le doute (Anna ou Kelman). Nous voyons une humanité qui est la même que celle du temps du Christ, pleine de contradictions et de désirs, aspirant à la guérison de ces malades (Staci), à un pardon inaccessible (Avi) : bref, des êtres humains qui ont soif de paroles, de vie, d’amour, d’espérance et de sens. Pas des pions mais des personnes complexes et du coup attachantes.
d) Du coup, même si les épisodes sont inégaux, si certains passages traînent un peu en longueur, si le côté Christ sulpicien de ‘Al-Masih’ fatigue, j’ai trouvé les dialogues de type ‘confession’ qu’il a avec les différents acteurs principaux très bons : celui avec Eva, Felix ou Avi. Il y a de petites facilités d’écriture mais l’attitude de fond de Payam est juste : il ne se présente pas comme ‘le messie’, il invite à voir et à écouter, il appelle à discerner chacun soi-même la voix de D., il est attentif et compatissant, il est insensible à l’argent et au pouvoir, il suscite un sentiment qui pousse à la sortie de soi. Au minimum il doit être cohérent avec ce qu’il dit (ce qui est le cas) : sa tonalité de fond face aux questions insistantes sur son identité se ramène à : ‘je suis qui je suis ; je ne prétends rien et surtout d’obliger à croire que je suis ceci ou cela ; toi que dis-tu ?’. Il serait un bon exemple dans un cours de christologie sur le pourquoi de certaines attitudes de Jésus (‘Pourquoi m’appelles-tu bon ?) qui décentrent de lui et tournent vers Dieu en refusant les réponses faciles. Il montre que la question est comment nous voyons car au temps de Jésus aussi des gens ont ‘vu’ et n’ont pas ‘cru’. Le scénario montre bien aussi le lien entre foi et espérance, entre estime de soi et douceur envers les autres. Certaines phrases peuvent bien ouvrir une conversation avec des jeunes par exemple : « everybody worships » ou « we become what we believe » (inscription en fait) ou dans le couple : « where are you ? I am here, with you ». Une chose est frappante in fine : nous avons des juifs agnostiques, des musulmans et des chrétiens évangéliques (de type baptiste), un mormon mais pas de catholiques (à part a « lapsed » one !). Mais ce n’est pas très grave et plus facile à voir du coup pour un catholique !
Daniel CARLANA
Il faut dire aussi que le ‘Al-Masih’ de cette fiction est au-delà des religions historiques (en tout cas dans la 1ère saison, la seule diffusée en ce moment) et des textes sacrés (il dit dans un moment « allez lire vos textes sacrés » en laissant comprendre que ces textes ne sont pas son affaire) ; il n’est donc pas facile de discerner et bien identifier sa »théologie » (même si ‘Al-Masih’ donne des pistes étranges comme l’identité entre les notions de « destin » et « volonté de Dieu »…).
Malgré ce flou religieux et théologique, on n’arrive jamais à savoir (voici le cœur de l’intrigue) si nous sommes face à un imposteur, un homme d’une riche spiritualité ou face au Messie…Le Vatican (comme la CIA) a ouvert un dossier sur ‘Al-Masih’. Le résultat de l’enquête du Vatican n’est pas connu à la fin de la 1ère saison..
Enfin tout cela m’a fait penser quelque chose : si le Messie (le vrai) revient à la fin de l’histoire, alors, dans quel cadre institutionnel viendra-t-il ? ; quelle Église choisira-t-il ? Si aucune, alors, la série est plus réaliste qu’elle a l’aire….
Marc Rastoin
vos commentaires sont tout à fait pertinents… en fait les scénaristes ont habilement refusé d’organiser une confrontation avec des théologiens et/ou gardiens du dogme, que ceux-ci soient juifs, chrétiens ou musulmans (là un tout petit peu mais des intégristes); de fait il surgit hors cadre; mon sentiment est qu’ils prendraient des risques à en faire un « vrai » messie; pour nous Jésus revenant devra se qualifier de Jésus (si tant est que l’on puisse imaginer une retour qui soit temporellement séparé de la fin des temps!): il ne pourra pas être d’une autre « religion »; par contre je ne pense pas non plus que l’on puisse en faire un imposteur pur et simple ou un « agent » de poutine; de fait son attitude spirituelle devant les gens en one to one est très juste et il semble vraiment sincère: finalement la position qu’il prend – et que j’espère il maintiendra – est au fond de type Jean-Baptiste: je ne suis pas encore le bon mais convertissez vous la fin arrive…
Daniel CARLANA
Merci de ces précisions. Si l’on aborde la fiction d’un point de vue théologique, on peut très bien se poser la question, « qui es-tu ‘Al-Masih’ ? ». Vous dites que si l’on envisage un retour de Christ avant la fin de temps, il ne pourra pas être d’une autre « réligion ». Le Messie donc partagera ma religion. Mais cette phase peut être lue de manière universelle. Je m’explique.
On sait que le salut et la grâce apportée par Jesus Christ à l’homme est irrevocable, irreversible et universelle. L’Église comme sacrament ou corps de Christ continu la donation historique de cette grâce jusqu’à la fin de temps. Si l’on prend au sérieux le caractère universel du salut, on peut bien accompagner la pensée de K. Barth sur la réalité historique du ‘christianisme anonyme’ et des ‘chrétiens anonymes’ (thèse déjà reprise pour la théologie classique sous l’intitulé du ‘salut des infidèles’ et du ‘salut des enfants morts avant d’être baptisé’). Cette thèse du ‘christianisme anonyme’, ne veut pas dire (ni pour K. Rahner ni pour personne) qu’il y a deux christianismes, ou deux grâces différentes, ni une mise au même niveau des toutes les croyances ou Églises…
Vous dites ‘Al-Masih’ ‘‘surgi hors cadre’’, mais pas forcément hors le cadre de la grâce qui est le cadre qui compte vraiment. Nous sommes face à une narration, mais pas face à une narration fantastique ou décousue. Les drames des personnages (quelques un sont bien des chrétiens anonymes) sont placés dans un horizontal scatologique (apparemment à la mode aux USA) et ces personnages interagissent avec un sage d’un spiritualité bien rodée et qui connote fortement Jésus-Christ. Mais ce ‘‘Jésus’’ agit hors le cadre des Églises. Cela ne l’empêche pas de placer chaque personne face à ses propres ‘‘conditions de possibilité’’ de réception du salut (la scène de la prostituée est vraiment sublime de grâce et clarté). Les rencontres entre ‘Al-Masih’ et les hommes de son époque sont forcement d’un nombre fini. Les miracles sont alors les signes pour les autres qui ne peuvent pas lui parler…. Je ne veux pas choquer personne, mais le réalisme religieux de cette narration est fort bien construit. Le doute plane pour tenir l’intrigue : «qui es-tu ‘Al-Masih’ ? ».
Daniel CARLANA
Correctif
Merci de ces précisions. Si l’on aborde la fiction d’un point de vue théologique, on peut très bien se poser la question, « qui es-tu ‘Al-Masih’ ? ». Vous dites que si l’on envisage un retour de Christ avant la fin de temps, il ne pourra pas être d’une autre « religion ». Le Messie donc partagera ma religion. Mais cette phase peut être lue de manière universelle. Je m’explique.
On sait que le salut et la grâce apportée par Jésus Christ à l’homme est irrévocable, irréversible et universelle. L’Église comme sacrément ou corps de Christ continu la donation historique de cette grâce jusqu’à la fin de temps. Si l’on prend au sérieux le caractère universel du salut, on peut bien accompagner la pensée de K. Rahner sur la réalité historique du ‘christianisme anonyme’ et des ‘chrétiens anonymes’ (thèse déjà reprise pour la théologie classique sous l’intitulé du ‘salut des infidèles’ et du ‘salut des enfants morts avant d’être baptisé’). Cette thèse du ‘christianisme anonyme’, ne veut pas dire (ni pour K. Rahner ni pour personne) qu’il y a deux christianismes, ou deux grâces différentes, ni une mise au même niveau des toutes les croyances ou Églises…
Vous dites ‘Al-Masih’ ‘‘surgi hors cadre’’, mais pas forcément hors le cadre de la grâce qui est le cadre qui compte vraiment. Nous sommes face à une narration, mais pas face à une narration fantastique ou décousue. Les drames des personnages (quelques un sont bien des chrétiens anonymes) sont placés dans un horizontal scatologique (apparemment à la mode aux USA) et ces personnages interagissent avec un sage d’un spiritualité bien rodée et qui connote fortement Jésus-Christ. Mais ce ‘‘Jésus’’ agit hors le cadre des Églises. Cela ne l’empêche pas de placer chaque personne face à ses propres ‘‘conditions de possibilité’’ de réception du salut (la scène de la prostituée est vraiment sublime de grâce et clarté). Les rencontres entre ‘Al-Masih’ et les hommes de son époque sont forcement d’un nombre fini. Les miracles sont alors les signes pour les autres qui ne peuvent pas lui parler…. Je ne veux pas choquer personne, mais le réalisme religieux de cette narration est fort bien construit. Le doute plane pour tenir l’intrigue : «qui es-tu ‘Al-Masih’ ? ».
Carlana
Avec des mots simples, je veux dire à la lumière de la foi : est-ce qu’il n’est pas vraisemblable que Christ, lors de sa deuxième venue à la fin de temps, ne soit-il un simple « chrétien anonyme » étant donné la dynamique universelle du salut et le fait que l’Église n’est pas le fond du message chrétien ? Si la réponse est « si cela est vraisemblable », alors, « Messiah » est une narration religieuse profondément réaliste.
Marc Rastoin
question légitime mais il me semble que les textes bibliques disent que son retour sera en gloire et sera effectuée en tant que Jésus: c’est bien le retour de Jésus pas d’une autre personne. Mais la série est excellente pour poser les questions sur la première venue.
Daniel CARLANA
Oui, sur le point que vous relevez « la série est excellente pour poser les questions sur la première venue », cela a été bien mon sentiment, par exemple, lors de scène des interrogatoires du Messiah (avec le Mossad et la CIA) , la rencontre entre le Messiah et la prostituée, ou encore la rencontre entre le Messiah et les journalistes … La Série semble venir à l’aide de notre imagination pour avancer quelques représentations de Jésus historique … comme les évangiles apocryphes, l’avaient déjà fait pour une sensibilité esthétique (« hellénistique », peut-on dire ?) qui aujourd’hui n’est nullement pas la nôtre…
Cependant (contrariâmes au conseil « la série est excellente pour poser les questions sur la première venue »), et s’il s’avère dans les prochaines Saisons que le Messiah n’est pas un imposteur, alors, dans le cadre de la foi le sujet de la Série est bien la 2ème venue de Christ : je ne crois pas que cela soit mon avis subjectif sinon le cœur de l’intrigue : « Qui dit vous que je suis » (Mt, 16,15).
D’un point du vu dogmatique (je parle de la théologie dogmatique), je ne sais pas si la deuxième venue de Christ est forcément une venue glorieuse… Je dois me renseigner en détail sur ce point… Mais, si l’on contourne cette dernière question et tenant compte que nous sommes de toute manière dans un domaine où les représentations ne sont presque pas possibles…une œuvre de fiction est la bienvenue pour avancer prudemment…pour le moment (et si je change d’avis, je le ferai savoir) une deuxième venue non glorieuse d’un Jésus qui a l’aire d’un ‘’chrétien anonyme’’ selon les données mises à disposition pour une fiction, il e semble une piste théologique… pas plus que ça …mais je sais très bien aussi que « Neflix » n’est pas dans la liste de »Locis theologicis » de Melchor Cano