Livre étonnant, et atypique, dans le paysage littéraire ou spirituel français. Sous le prétexte de descendre la Seine depuis sa source, l’auteur se livre à la fois à un portrait littéraire et spirituel de la France, à une méditation spirituelle sur les valeurs évangéliques – ou plutôt sur l’absolu de l’évangile tant le mot ‘valeurs’ est piégé – en contradiction avec l’esprit du monde et à une discrète autobiographie spirituelle. Le fil rouge en est la vie étonnante d’un artiste russe (ou pas d’ailleurs mais de « par là »), Agram Bagramko, dont l’auteur a connu l’ami Grigoriev (tous deux fictifs, devine-t-on peu à peu). On passe non pas tant d’un lieu à l’autre que d’une personnalité originale à une autre, découvrant au passage un panthéon personnel original où le général Mangin et J-F Deniau ont plus de poids qu’un de Gaulle ou un Clemenceau. Les deux cent premières pages m’ont paru remarquables, les six cent autres plus inégales. L’écriture est admirable et c’est le français à son plus haut niveau de finesse et de clarté sans jamais pourtant lâcher le paradoxe avoué ou implicite. Le niveau de langue et la hauteur de vue soutiennent le lecteur qui se réjouit de découvrir ainsi un croyant catholique totalement hors des moules et des modes, capable d’aimer à la fois celui qu’il aime appeler Loyola et l’esprit de Port-Royal, à l’aise avec les anarchistes russes comme avec les grands de ce monde bien qu’ayant renoncé à toute ambition politique ou assimilée. L’ensemble est d’une grande densité spirituelle et témoigne d’une grande culture. J’ai deux (plutôt petites mais…) réserves : je pense que certains développements (par exemple, pour n’en donner qu’un, celui sur la philosophie politique de Babar) sont très longs et que l’esprit français lui-même demanderait une brièveté plus grande. Par ailleurs, j’ai trouvé un peu dommage qu’on s’arrête assez vite à Paris et que l’on ne descende pas la Seine jusqu’à Rouen (pour parler de Jeanne par exemple) ou Le Havre.