L’entreprise de parcours biblique entamée par Jacques Cazeaux gagne en amplitude. Après sa traversée de nombreux livres de l’Ancien Testament et des Actes des Apôtres, vient cette lecture de l’évangile de Matthieu. L’auteur affiche une indépendance certaine vis-à-vis du monde de la recherche classique (euphémisme !). Ce qu’il qualifie lui-même dans son sous-titre d’‘essai’ n’est pas pour autant moins copieux qu’un commentaire habituel (542 pages bien tassées). L’inconvénient est alors bien sûr de présenter comme nouvelles des analyses qui ne le sont pas vraiment. La thèse de fond, cent fois énoncée, reprend la conviction forgée lors de ses lectures bibliques précédentes, que l’idéal fraternel du Cadastre des Douze Tribus d’Israël, traverse tout le propos. La vision rejoint alors celle d’un Jésus refusant un messianisme davidique de puissance, approche qui n’est certainement pas neuve mais qui est juste : l’Evangile subvertit les attentes messianiques mondaines pour ouvrir à la parole de la Croix. Cependant, si cet axe anime bien tout l’Evangile, une référence unique employée pour éclairer chaque feuillet matthéen, à savoir 1 S 8, « notre invariable repère » (p. 284) ressemble par trop à un mantra pour convaincre en chaque cas, de même que les structures en chiasme toujours privilégiées. Une clef qui ouvre toutes les portes peut-elle être une bonne clef ? En outre, le ton systématiquement employé par l’auteur, celui d’un vieil anarchiste de droite, « aristocrate intérieur » irrité par la « guimauve libertaire » (p. 165) pourra légitimement agacer même si le style ne manque parfois pas de souffle. Fallait-il parler tout du long des Judéens plutôt que des Juifs (quoiqu’avec des exceptions) tout en faisant de Jésus – et même de Philon d’Alexandrie – un « rabbin » (p. 129 et 236)°? Ainsi, si les grands axes théologiques, remettre en valeur le théocentrisme fondamental des Evangiles et leur insertion dans la tradition juive (cf. p. 275), sont louables et légitimes, l’ensemble finit malheureusement par lasser par sa verbosité répétitive. Dommage car certains chapitres se distinguent du lot, celui sur le Notre Père, celui sur les paraboles et celui sur la Résurrection notamment. Le lecteur patient consultera donc certaines pages et n’en sortira pas sans profit.