Un homme a du mal à se projeter dans l’avenir: sa copine aimerait se marier et avoir des enfants: il freine. D’où ce dialogue: « Tu ne peux pas me quitter. – Ah bon ? Et pourquoi ? – Parce qu’on s’aime. Voilà pourquoi. Mais ce n’est jamais assez. Il a fallu une maison. Un chien. Et puis maintenant ça. Pourquoi tu veux toujours plus ? – Parce que c’est comme ça que les gens vivent. C’est normal, figure-toi. On tombe amoureux. Et puis, on achète une maison et on fait des enfants. Ça se passe comme ça depuis la nuit des temps. C’est ça, la grande aventure ! – Ce n’est pas une aventure, la vie, je lui ai dit. – Ah non? Et c’est quoi alors ? – Une épreuve ». Alors, nous allons plonger dans son passé, dans un foyer d’enfants ‘à problèmes’. Il y débarque à quinze ans, animé d’une colère profonde contre des parents médiocres, asservis au système, se contentant, à ses yeux, de si peu: « Je détestais tout chez mes parents. Leur maison, leur voiture, leur manière de s’habiller. Leur odeur. Je détestais quand ils disaient : ‘On a tout pour être bien’. La façon dont ils se tenaient la main, leur petite vie à deux, recroquevillés sur eux-mêmes. L’énergie qu’ils semblaient devoir déployer pour s’aimer encore un peu. Je ne voulais qu’une chose au monde : être seul dans ma chambre. Je ne les aimais pas. Je n’aimais pas l’école. Je n’aimais pas les autres. Seul Eminem avait toute mon admiration […] Je les avais vus se cogner, baisser la tête, mettre le genou à terre. Et dès le lendemain, recommencer. J’avais vu ce qu’il en coûte d’être un adulte. J’avais observé le réveil à l’aube, les plaintes au retour du travail, leurs baisers prudents. La fatigue. L’usure. L’ennui. Le compromis. La soumission. J’avais vu tout cela. Et je m’étais promis de ne jamais être comme eux. Je vous demande, à ce stade, de ne pas juger le gamin. Il n’a que quinze ans. Il ne sait pas encore que les courtes années de jeunesse sont une forme douloureuse mais aussi presque parfaite de grâce. Il ne sait pas non plus qu’un beau jour les parents disparaissent et que l’on doit vivre avec le mal qu’on leur a fait. Il ignore enfin qu’il vit les dernières minutes de sa première vie ». Il va y rencontrer des jeunes, des ados, qui ont vécu des drames terribles qu’il ne soupçonnait pas (violence, inceste, viols, etc.), dont une jeune fille qui va lui donner une leçon qu’il n’oubliera jamais. Avec des mots incandescents, sonnant terriblement justes, Jérôme Colin nous parle de ces gamins que l’on ignore ou craint mais qui ont des choses à nous dire, à nous et à notre société: des enfants en manque de tendresse sans doute mais aussi de sens: « Autre note pour plus tard : aux enfants, ne pas dire arrête mais explique. Ne pas dire tais-toi mais raconte. Ne pas dire ne fais pas l’intéressant mais fais l’intéressant ». L’auteur nous partage Steinbeck qui joue, pour lui ou plutôt pour le Jérôme du livre, le rôle de l’évangile: « Mais je restais assis et je rêvais de ce moment où ‘l’incroyable viendrait enfin à advenir’. C’est Steinbeck qui utilisait cette expression dans son livre. ‘Quand l’incroyable viendrait enfin à advenir’. J’ai trouvé la formule bouleversante. Steinbeck a écrit : ‘La force est d’aimer le faible’. Et quelques pages plus loin : ‘Ce qui compte, c’est parler. C’est être avec un autre. Voilà tout’. Mais ces phrases m’ont foudroyé. ‘La force est d’aimer le faible’. ‘Ce qui compte, c’est parler. C’est être avec un autre. Voilà tout’. Ce n’était rien. Quelques lignes seulement. Et pourtant, c’était tout ». Un livre dont je ne sais la part d’autobiographie (le héros semble avoir beaucoup en commun avec l’auteur mais il s’agit bien d’un roman) mais qui porte un poids d’humanité comme je l’ai rarement vu: « Tu pourras peut-être la raconter un jour. C’est important, je crois, que les gens puissent entendre ça. Que des enfants souffrent vraiment. Que ce n’est pas juste l’adolescence. Que c’est une vraie souffrance. Peut-être que ça fera du bien à des parents. Et peut-être que ça fera du bien à des enfants aussi ». Quelqu’un lui dit: « Le capitalisme nous mène droit dans le mur parce qu’il n’a finalement rien à proposer aux jeunes. Aucun idéal. Cette merde de système glorifie la performance. Comment être le meilleur ? Comment être le plus riche ? Comment être le plus rapide ? Il propose aux enfants des idéaux de néant. Qui ne mènent à rien. Il conditionne les gens à aimer les objets plutôt que les autres. Et ça, c’est sans parler de la fin du monde qui nous attend. » Il disait cela calmement ». Il parlait « ‘De notre incapacité, à nous les adultes, de leur proposer un autre monde. On les gave de médicaments car on est incapables de les gaver d’espoir. Et bientôt, ça nous explosera au visage, crois-moi’. Chaque enfant qui bascule en psychiatrie y arrive par notre responsabilité. » Le tout finit par une lettre, celle du personnage devenu père et écrivant à sa fille. Une belle lettre. Jérôme Colin m’a fait penser à Daniele Mencarelli et je ne saurais aujourd’hui faire un éloge plus grand… Quiconque s’intéresse aux enfants en souffrance de notre monde, quiconque sait l’importance de l’enfance et la nécessité de mots qui vont vivre, quiconque s’interroge sur ce que vivre vraiment veut dire, sera touché.