Le corps humain dans les textes de la tradition juive, de la Bible aux Lumières.
Ce livre, tout en donnant accès aux textes mêmes, est riche d’un travail bibliographique d’une ampleur admirable. L’auteur part de la dimension très corporelle de la Loi juive, enracinée dans des rites et tabous extrêmement anciens, et en montre l’étonnante évolution dans les deux derniers millénaires. On a souvent pour habitude de présenter d’abord le judaïsme sous le prisme du Talmud, une tradition à la fois très juridique et rationaliste, ou, plus tard, de donner beaucoup de poids à la figure très aristotélicienne de Moïse Maïmonide. Jean Baumgarten montre comment des spéculations anciennes incroyablement ramifiées, de nature essentiellement gnostique, ont connu une fortune croissante, non seulement dans les systèmes de pensée de certains rabbins mais dans la vie quotidienne et la liturgie des juifs « ordinaires ». Le hassidisme, né au XVIIIe siècle en Europe de l’Est, constitue en un sens le point culminant d’une évolution commencée bien des siècles auparavant. Des idées kabbalistiques intrinsèquement gnostiques, qui auraient horrifié Maïmonide et qui firent effectivement rugir le Gaon de Vilna (1720-1797), ont acquis peu à peu droit de cité en Israël. Prendre conscience de l’immense corpus sur lequel s’est construite cette évolution n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage. Baumgarten vient ici définitivement terrasser l’idée d’une sorte d’essence éternelle du judaïsme et mettre en lumière la richesse kaléidoscopique de ses variations historiques. Un seul regret toutefois : en plusieurs lieux, l’auteur aurait pu relever les parallèles avec les évolutions chrétiennes contemporaines (pour ne prendre qu’un exemple frappant, lorsqu’il décrit les pénitences corporelles à la fin du Moyen Âge) plutôt que de laisser entendre, un peu trop rapidement, qu’il y aurait une différence de nature dans la place donnée au corps dans les deux traditions. En fait, dans les deux cas, une importance extrême donnée aux péchés de la chair suscite en quelque sorte une revanche du corps, tant au plan théologique que pratique.
Recension parue dans la revue Etudes en 2017