Dire que le monothéisme est intrinsèquement porteur de violence est devenu un lieu commun de la culture occidentale. Dans la sphère de langue allemande, et bien au-delà, Jan Assmann, auteur de nombreux ouvrages sur la question, est devenu un spécialiste du thème. Son propos semble s’appuyer sur de nombreuses sources mais qu’en est-il exactement ? Notons d’entrée que son approche est celle d’un amateur dans le champ exégétique et théologique. C’est ainsi par exemple qu’il semble découvrir le caractère récent et théologique du topos de la persécution des prophètes. Jan est d’abord un égyptologue, archéologue et essayiste. Attention cependant ! L’homme est cultivé, intelligent et à prendre très au sérieux. Son analyse pousse à réfléchir sur la façon dont une certaine conception du monothéisme, qu’il appelle ‘monothéisme de vérité’ (par distinction avec le ‘monothéisme de fidélité’, centré sur le maintien de l’alliance avec le Dieu du salut plus que sur la dénonciation des idoles) a pu susciter un langage incitant à la violence envers les tièdes. Certains passages sont vraiment suggestifs : c’est ainsi qu’il montre combien la récurrence du thème des ‘murmures’ contre Moïse dans le Pentateuque signale le combat permanent au sein du groupe monothéiste pour maintenir à distance la contestation, d’abord intérieure, de la foi formulée par une poignée de prophètes élitistes. A l’occasion aussi, il cherche à nuancer son propos en s’en prenant davantage à la mobilisation d’un certain langage de la violence par des monothéismes plutôt qu’à tout monothéisme : « La dynamite sémantique que contiennent les textes sacrés des religions monothéistes sert d’explosif non dans les mains des croyants mais dans celle des fondamentalistes qui sont à la recherche du pouvoir et se servent des motifs de la violence religieuse pour entraîner les masses » (99). Si ce ton est certainement salutaire, d’autres passages sont plus discutables : n’avons pas d’exemples éclatants de violence à fond religieux de la part de groupes non monothéistes, depuis les Aztèques jusqu’à certains courants bouddhistes contemporains (Ashin Wirathu) ? Bref, la violence, réelle mais surtout verbale, de nos textes reflète celle qui traverse toute la vie humaine et qui est inexpugnable : la Bible – pas plus que les autres textes religieux – n’est un texte irénique pour idéalistes naïfs. Mais, comme les autres, elle peut et doit être soumise à une herméneutique qui conduit à donner un cadre précis aux textes potentiellement porteurs de violence : elle contient les principes de sa propre relativisation sur ce point. Le Nouveau Testament en est un exemple éclatant, lui qui proclame un Messie innocent, non-violent et crucifié. Publié en 2006, résumé de ses ouvrages antérieurs, cet opuscule annonce son ouvrage de 2015 sur l’Exode, qui va sortir en anglais en 2018 sous le titre « The Invention of Religion. Faith and Covenant in the Book of Exodus ». Parmi les intellectuels européens qui lancent un défi aux croyants inscrits dans la tradition biblique, Assmann doit être lu certes mais discuté aussi.
Recension parue dans la revue Christus en 2018.