Cet essai d’un philosophe et psychanalyste contemporain part de l’idée que nous approchons du moment où, au sein de l’histoire, s’effectuera sa fin, ou plutôt la fin de l’humanité (car la planète survivra sans doute à celle-ci), ce qu’il appelle une « apocalypse sans royaume »; il en tire des conséquences philosophiques et discute sa portée éthique. L’auteur, dans sa première partie, met des mots (précis, chirurgicaux et pesés) sur une conviction que je porte depuis plusieurs années et qui m’apparaît comme ces ‘self-evident Truths’ d’un texte connu: j’ai été heureux de voir que je n’étais pas seul (car cette vérité n’est pas aisée à regarder en face). La deuxième partie, où Freud prend plus de part que Nietzsche, m’est apparu à la fois plus faible et plus ambiguë (sans parler de la dernière phrase). L’auteur se situe clairement dans une perspective athée – ce qui ne me dérange pas en soi – mais il semble ne pas voir que ce qu’il cherche à penser peut se penser dans une perspective croyante également. Il semble reléguer l’option chrétienne à la seule foi en un arrière-monde démobilisant et emploie à l’occasion des adjectifs ou expressions péjoratives gratuites. Il me semble pourtant que l’on peut penser une action moralement juste alors même que l’on serait intellectuellement et rationnellement convaincu de la probabilité de la fin de l’humanité et que nos Ecritures nous en donnent même un récit imagé mais lisible (cf. Mc 13). Quoi qu’il en soit, ce livre est à mon sens capital pour comprendre le moment précis de l’histoire humaine que nous vivons et pour échanger sur des questions majeures d’aujourd’hui: par exemple, que veut dire accepter de mettre un enfant au monde aujourd’hui alors que la planète est clairement surpeuplée (au vu de ses modes de consommation en tout cas)? Faut-il laisser les populations (notamment musulmanes et africaines) qui n’ont pas encore pris conscience (du moins socialement, au plan démographique) de la situation éco-politique, replacer les populations occidentales désabusées et conscientes (plus ou moins! du moins ceux qui lisent B Latour ou PH Castel ce qui ne fait pas tout le monde !) de leur responsabilité historique dans la situation historique présente? Peut-on encore inciter à une action collective pour ‘sauver’ le monde alors même que nous savons que ces actions viennent ‘trop tard’ ou, en d’autres termes, 5′ minutes avant la fin du monde, faudra-t-il continuer à faire le bien ou renoncer à le faire? Ce qui pose la question clef de la motivation de nos gestes éthiques. Les posons-nous parce que nous croyons à leur effectivité dans l’histoire (comme les communistes) ou simplement parce que la foi nous y invite, indépendamment de toute récompense intramondaine? Une lecture indispensable à mes yeux…
Quelques citations pour mieux saisir…
« Et si l’on sait abstraitement, par projection quantitative, vers quel abîme on court, c’est là un savoir auquel, si j’ose dire, on n’arrive pas à croire »
« La fin qui nous attend est une fin sèche, sans jugement dernier ni châtiment ni salut pour personne, bref, une «apocalypse sans royaume», comme la nommait Anders »
« Dans cet esprit, la signification de l’amour, des rapports sexuels, de la procréation, mais plus généralement de toutes les choses que nous projetons au-delà de nos vies particulières dans la vie des générations à venir, œuvres d’art, messages de sagesse, vastes projets collectifs, tout cela, semble-t-il, serait nié à la racine. »
« Plus proche sera donc la fin, et plus passionnément l’humanité trouvera les sources d’excitation nécessaires à vivre dans des actions excessives, atroces, démentes. […] C’est pourquoi il faut avoir peur, très peur des temps d’avant la fin des temps. »
« La vertu principale en quoi consisterait la mise en œuvre effective du Bien à venir paraît ne pouvoir consister qu’en une seule et unique chose : devenir inintimidable face au Mal qui vient. »
» Il y a sûrement déjà des gens qui ne font pas d’enfants de peur du jugement futur qu’ils pourraient porter contre eux. Plus la fin sera proche, mieux sa date sera fixée, plus la reproduction des humains paraîtra absurde. »