Il s’agit d’une conférence, complétée avec des notes assez copieuses mais très bien faites, faite en 2015. Pour comprendre l’état présent de l’humanité et en particulier le mouvement des gilets jaunes, ce livre est une lecture indispensable complémentaire de celle de C. Guilluy. Plus philosophique et historien que ce dernier, il sait trouver des phrases de Marx qui n’ont pas perdu une ligne. Au contraire. Il y aurait presque tout à citer. Le texte original de 51 pages est dense et précis à la fois. Il montre que la logique de la pensée dite libérale (née pour lui dans les suites des guerres de religion, thèse discutable mais crédible) mine les fondements de la vie en société en fragilisant toujours davantage les plus faibles: l’exemple du travail le dimanche est lumineux sur ce point. « Si parler de vie commune n’a de sens que là où il existe des valeurs et des pratiques morales et culturelles partagées, il faut donc en conclure qu’une politique libérale exclut par définition toute prise en compte théorique de cette sphère anthropologique particulière (sinon, bien entendu, dans le cadre de considérations purement politiciennes et électorales) » (26). Ou encore: « A l’horizon logique de cette tendance de fond de la société libérale à dissoudre toutes les manières de vivre communes, on retrouve donc bien ce qu’Engels appelait, dès 1845, l’« atomisation du monde », processus qu’il décrivait comme la « désagrégation de l’humanité en monades dont chacune a un principe de vie particulier et une fin particulière » […] Le problème – et tous les anthropologues le savent – c’est qu’une communauté humaine ne peut survivre que dans la mesure où elle reproduit en permanence du lien. Ce qui suppose naturellement entre ses membres ce minimum de langage commun et de normes culturelles communes, à défaut desquels les pratiques d’entraide et de solidarité quotidiennes sur lesquelles reposent le lien social (et que Marcel Mauss a magistralement analysées dans l’Essai sur le don) laissent nécessairement la place au règne du « chacun pour soi » et à la guerre de tous contre tous » (35). « Ce refus de réduire l’essence de la société à un simple agrégat « de particules contractantes n’ayant entre elles de relations que fondées sur le calcul d’intérêt » […] ne nous rappelle pas seulement qu’il existe aussi des liens qui libèrent (comme, par exemple, l’amour, l’amitié ou le sens de l’entraide), et que notre épanouissement individuel trouve ainsi certaines de ses conditions indispensables dans l’existence d’une véritable vie commune […]. Il permet également de comprendre l’ambigüité constitutive de l’idéal d’émancipation propre à l’idéologie libérale […]. Du fait de son axiomatique individualiste, il lui est, en effet, philosophiquement impossible d’interpréter de façon cohérente (ou même tout simplement d’imaginer) les effets anthropologiquement – et psychologiquement – dévastateurs qu’entraîne inexorablement sur la vie commune (par exemple celle d’un village ou d’un quartier) le remplacement accéléré de tous les rapports humains fondés sur l’entraide, la convivialité et la logique du don par de pures relations contractuelles – qu’elles soient juridiques ou marchandes » (42). On comprend très bien pourquoi cette pensée rejoint sur de nombreux points la pensée sociale de l’Eglise et certains penseurs catholiques actuels. (on pourra lire le texte sur http://www.journaldumauss.net/?Droit-liberalisme-et-vie-commune)