Un silence lourd pèse sur la vie de Santiago Amigorena: celui de son grand-père Vicente Roseberg. Alors il s’est mis dans la peau de son grand-père, qu’il n’a pas vraiment connu, pour essayer de le comprendre. Comment cet homme fin, cultivé, joyeux, s’était peu à peu enfermé dans le mutisme et l’addiction au jeu, en réalisant ce qui se passait en Pologne où sa mère et son frère étaient restés alors que lui était parti. C’est le poids de la Shoah sur les survivants, le poids d’une culpabilité terrible – ai-je fait tout ce que je pouvais pour les sauver? – qui est ainsi décrit implacablement et sobrement tout ensemble. En passant, c’est le mystère de l’identité juive qui est abordé. Venant du shtetl mais passé au monde polonais (il avait fait la guerre avec Pilsudski comme officier polonais), Vicente s’interroge sur ce qu’il est, alors qu’il a perdu toute pratique et ne croit pas en Dieu. Cela rappelle les réflexions de Spinoza et des ex-marranes, déjà confrontés plusieurs siècles auparavant, à cette interrogation lancinante. Certaines pages (p. 77) font penser aux réflexions de Daniel Boyarin sur l’identité juive en diaspora tandis que le poids du silence d’un grand-père rappelle le livre de JL Coatalem sorti presque simultanément (La part du fils) et lu, pour ma part, la semaine dernière. Oui la parole libère et le silence enferme. Et quand parler est trop dur ou difficile, écrire est un vrai chemin. Ce court ‘roman’ nous remet au cœur du vingtième siècle et du trou noir qui est en son centre: il nous en montre les conséquences à distance comme les radiations d’une bombe atomique parcourt des milliers de kilomètres. Il dit peu et beaucoup. « Enterrer les morts et réparer les vivants »: ce programme de Tchekhov – et de Jésus au fond – reste d’actualité. Les deux passent nécessairement par la parole…