Encore un livre fort, très fort, de Byung Chul Han. J’avoue que le lisant j’avais envie de souligner toutes les phrases tant elles me paraissaient à chaque fois d’une extrême justesse sur notre civilisation et notre monde d’aujourd’hui. A sa manière, brève, synthétique, calme, il nous livre un portrait sans concessions de notre temps. Le monde du smartphone et d’internet, notre vie de travail comme de loisir, s’éloigne de plus en plus du monde des choses, les ‘vraies’ choses, de la table à l’arbre. « Nous n’habitons plus la terre et le ciel, nous habitons Google Earth et le Cloud. Le monde devient de plus en plus insaisissable, nuageux et spectral. Rien n’est plus tenable ni tangible ». Ou encore « Notre espace mnésique, lui aussi, ressemble de plus en plus à un grenier débordant de toutes les informations possibles. Mais addition et accumulation refoulent les narrations. La continuité narrative qui s’étend sur de vastes laps de temps caractérise l’histoire et le souvenir. Seules les narrations créent du sens et du contexte. L’ordre numérique est sans histoire ni souvenirs. C’est ainsi qu’il fragmente la vie ». Ou « Les pratiques induisant une consommation temporelle intense sont aujourd’hui en voie de disparition. La vérité requiert du temps. […] Dans notre culture postfactuelle de l’excitation, affects et émotions dominent la communication. …] Tout ce qui stabilise la vie humaine prend du temps ». « La fidélité, le lien, l’attachement sont des activités qui consomment beaucoup de temps. Le délabrement des architectures temporelles stabilisantes, dont relèvent aussi les rituels, rend la vie instable. Nous accumulons les friends et les followers sans rencontrer un autre ». Or les objets ont une vie, une histoire avec nous, tout comme certains lieux. « L’histoire qui s’attache aux choses à la suite de leur longue utilisation les anime et les transforme en choses du cœur ». Son insistance sur une vraie rencontre avec le monde des choses, le monde qui résiste, tout comme avec l’autre qui suppose du temps et de l’attention, de l’écoute et du temps, rejoint très bien le monde de l’évangile tant il est vrai que « Les humains sont des créatures de proximité ». Oui, « il y a une raison ontologique expliquant que le smartphone nous plonge dans la solitude : c’est qu’il entraîne la disparition de l’autre. Si nous communiquons aujourd’hui d’une manière aussi compulsive et excessive, c’est parce que nous sommes solitaires et que nous éprouvons un vide. Mais cette hyper-communication n’est pas un accomplissement. Elle ne fait qu’approfondir la solitude, car il lui manque la présence de l’autre ». D’ailleurs, il évoque sa vieille Bible papier qu’il lit avec une loupe… Au passage, il évoque son amour des juke-box et de la chanteuse Barbara… je consonne avec ses valeurs: « Seul le temps de l’autre produit le lien intense, l’amitié, mieux, la communauté ». Un livre inspirant et effrayamment juste.