En s’appuyant sur de nombreux travaux d’experts de notre monde numérique (j’ai noté qu’il citait Byung Chul Han), l’auteur explique comment les sociétés géantes d’internet luttent pour quelques secondes de notre attention et comment notre rapport au virtuel, à commencer par celui du portable, peut devenir addictif. Voire même est conçu pour l’être: « La dépendance n’est pas un effet indésirable de nos usages connectés, elle est l’effet recherché par de nombreuses interfaces et services qui structurent notre consommation numérique ». Beaucoup m’avaient recommandé cet ouvrage et il vaut vraiment le coup. je dirais même que nous devons le lire. Court et clair, calme et posé, il décrit avec précision notre nouvelle société numérique. « nous sommes devenus des poissons rouges, enfermés dans le bocal de nos écrans, soumis au manège de nos alertes et de nos messages instantanés. Notre esprit tourne sur lui-même… Tel le poisson, nous pensons découvrir un univers à chaque moment, sans nous rendre compte de l’infernale répétition dans laquelle nous enferment les interfaces numériques auxquelles nous avons confié notre ressource la plus précieuse : notre temps ». Ou encore « Notre enfer quotidien, c’est nous-mêmes. Sans repos possible, gorgés de dopamine, nous veillons sans relâche. L’alerte permanente, l’exploitation de notre passivité, la flatterie de notre narcissisme et la prise en charge par l’annonce immédiate de ce qui est à venir scandent nos existences numériques ». Ou « Nous sommes devenus les mines à ciel ouvert que forent les outils numériques à chaque fois que nous les utilisons. Et ce forage devient de plus en plus profond. La surveillance de nos vies est l’extension « naturelle » de la publicité ciblée« . Bref, « le temps qui nous été volé est celui du manque, et donc du désir. Celui de l’amour, de l’autre, et de l’absolu ». La charge pourrait paraître rude mais elle est argumentée et l’auteur n’est pas pour autant désespéré et propose des pistes: « Notre libération passe par deux commandements complémentaires : guérir et combattre. […] L’inégalité qui vient est tout autre, cependant : il s’agira d’avoir non plus accès à la connexion, mais à la déconnexion. Accès non pas à la musique, mais au silence, non à la conversation, mais à la méditation… » […] Les retraites spirituelles dans les monastères ont changé de nature : il fallait échapper au monde pour trouver Dieu, il faut désormais échapper aux stimuli électroniques pour, simplement, se retrouver. Être coupé des réseaux pour, enfin, être à nouveau au monde. […] L’établissement de zones hors connexion à l’image des zones non-fumeurs relève de la santé publique. Les écoles, lieux de savoir, de prière, de débats, de réunions : recevoir, célébrer, transmettre, pour reprendre la célèbre trilogie d’Emmanuel Levinas. »