Lors d’un dîner, le ‘narrateur’, un écrivain moyennement connu, est en présence d’un écrivain de grand succès public, ressemblant furieusement à M. Houellebecq et superbement croqué (tout ce chapitre est jubilatoire). La conversation porte sur le couple et tous s’accordent à dire qu’un amour durable et vrai est impossible: comment peut-on encore y croire?! Cela agace (euphémisme!) ledit narrateur qui connaît un couple d’amis, – Noé un artiste dessinateur passionné, et Félice, une avocate doutant de la justice des hommes -, qui lui semblent heureux, la dernière carte qu’il se décida à abattre lors du dîner. La suite de la narration alterne les monologues intérieures de ces trois personnages et nous fait découvrir peu à peu la vie antérieure (ils ont été tous deux dans de vrai-faux mariages toxiques), la rencontre, et surtout, la poursuite de l’aventure à deux, de nos improbables mais néanmoins réels héros.
Rendant un hommage appuyé au Cantique des Cantiques, A. Jenni a le courage, immense et que je loue hautement, de s’attaquer à un sujet difficile et pourtant essentiel: le couple qui dure. L’écriture est belle (certaines phrases sont vraiment magnifiques) et le rythme tenu. Certes, la nature du sujet entraîne un récit pauvre en péripéties. Pourtant, au fond, il nous parle de l’unique nécessaire, l’unique sujet comme il est l’unique intérêt de la vie: aimer et se laisser aimer, réellement, corporellement, dans ses fragilités comme dans ses beautés. Malgré quatre réserves (le fait que ce couple se soit connu dans la quarantaine et ait chacun eu un mariage avant (cela affaiblit tout de même le propos), qu’il y ait quelques mots très crus, vraiment inutiles à mes yeux vu la teneur générale des paragraphes où ils se trouvent (cela jure) et qu’il y ait Walter (là aussi je ne vois pas bien comment il pourrait être vraiment crédible) et une fin un peu abrupte), j’admire et le projet et l’écriture. Il y a quelques passages vraiment superbes et ce livre, dans l’air que nous respirons collectivement dans notre société sur la question, incarne (au sens strict) une bienfaisante bouffée d’oxygène.