L’auteur s’intéresse à un motif récurrent dans l’Évangile de Luc : le fait que Jésus connaisse les pensées de ses interlocuteurs. Il montre que cela est en lien avec la prophétie de Siméon dont le caractère programmatique est bien connu mais ont également la fin du verset 35 reçoit moins d’attention. Or les explications communément données – soit il n’y aurait là rien d’extraordinaire ou de surnaturel (Jésus serait un bon physiognomoniste), soit il ferait ainsi montre d’une capacité prophétique – passent selon lui à côté de l’essentiel. En réalité, Luc « comprend cette connaissance de Jésus comme une capacité divine qu’il possède en vertu de son identité de ‘seigneur’ » (kuri,oj) (82 et 137). Il montre aussi que cette connaissance des pensées est liée à la notion d’un Dieu créateur qui sera un Dieu juge et que ce thème est fortement repris dans la littérature paratestamentaire contemporaine (63). Et, avec des arguments convaincants, ils pensent que Luc utilise discrètement Ps 93,11 (LXX) où se trouve le terme dialogismo,j. Contrairement à ce qui fut longtemps affirmé par l’école exégétique, surtout de langue allemande, du qei/oj avnh,r (‘l’homme divin’), aucun parallèle allégué ne correspond à cette capacité de Jésus dans l’Évangile. En revanche, comme dans l’AT, les dieux païens disposent bien de cette capacité. Il montre aussi qu’il existe une différence entre Luc et Jean. Dans Jean, cette connaissance suscite des réactions d’admiration et de reconnaissance (cf. Nathanaël). Pas dans Luc (41). Non seulement la thèse globale est convaincante mais elle permet de proposer des lectures intéressantes de certaines péricopes. C’est ainsi qu’il suggère que le verset 9,46 devrait être traduit par ‘une pensée leur vint à l’esprit’ plutôt que ‘une discussion surgit entre eux’. Le terme dialogismo,j étant connoté négativement, il est normal qu’il soit absent du récit de la femme au flux de sang. Selon la même logique, la seule fois où ‘Dieu’ parle dans une parabole de Luc (Lc 12,20), il le fait à la manière de Jésus réagissant à des ‘pensées’. De même il considère que la prière du début des Actes (cf. Ac 1,24) et bien adressée à Jésus puisque, pour Luc, « le ‘Seigneur’ qui connaît les pensées des humains est Jésus » (171). Un des intérêts de cette étude est de montrer les limites de toute christologie fondée en premier lieu sur des ‘titres’. « Jésus dans l’Évangile de Luc est placé fermement du côté d’une perspective céleste puisque Jésus est montré comme quelqu’un qui, comme Dieu, connaît les pensées du cœur humain » (145). Luc combine donc le thème vétérotestamentaire de la connaissance du cœur par Dieu avec la technique littéraire du monologue intérieur répandu dans la littérature gréco-latine avec son ‘que dois-je faire ?’ (cf. Térence). Il écrit : « Luc avait un intérêt considérable dans les processus intérieurs qui donnent naissance à l’action et il est probable que Luc envisageait la crise de la décision à l’intérieur des paraboles comme ayant des similarités significatives avec la crise de la décision à laquelle faisaient face ceux qui en Israël étaient confrontés à la venue de Jésus » (149). Au niveau méthodologique, il combine analyse narrative et rédactionnelle (22), ce qui est judicieux. Le style est clair, concis, fin et modeste par son ton. On peut relever l’effort, louable, fourni pour citer les sources germanophones et francophones (Neyrink, Legasse, Aletti, etc.).
Recension parue dans les RSR en 2019