Aurélien Barrau est l’un de ceux qui parlent le plus franchement, et de façon scientifiquement compétente, de notre présente situation dans l’humanité, c’est-à-dire, en bon français, du fait que nous allons dans le mur… Dans cet interview, il dit où il en est- intérieurement plus que scientifiquement dirais-je -, aujourd’hui, en 2024, et réfléchit à haute voix sur la possibilité d’une issue à cette fuite en avant qui ne ralentit, de fait, pas. Il ne veut pas parler de façon hystérique tout en ne cachant pas la réalité. Il faut être clair: « Le discours catastrophiste ne relève pas d’une crainte pour l’avenir mais d’un constat quant au présent » (2). Il faudrait en réalité changer, radicalement et non cosmétiquement, de trajectoire et donc de modes de vie: mais en sommes nous, collectivement, capables? Il est sérieusement permis d’en douter. Son intervieweuse cite Günther Anders dans son « La menace nucléaire » que « c’est aujourd’hui que ces termes ‘fin du monde’ et ‘apocalypse’ prennent un sens sérieux et non métaphysique ». Or, de fait, tant chrétiens que non-chrétiens avaient pris l’habitude de penser, depuis les Lumières, que le ‘discours apocalyptique’ de Jésus, et plus largement du judaïsme du Second Temple, était ‘mythique’, ‘métaphorique’ et, de toute façon, à ne plus prendre au sérieux dans l’ère du progrès. Eh bien ils avaient tort… Barrau écrit que « Kierkegaard considérait le désespoir comme le péché cardinal. Mais l’absence de désespoir face à l’évidence du cataclysme, l’est tout autant… »(7) Affirmation forte et à méditer. On pourrait dire que le refus de voir et de penser le drame que la planète vit, du fait de la prédation humaine exacerbée, et donc que vit et vivra encore plus fortement demain l’humanité, est un péché grave, un manque de lucidité. Mais la génération présente, dans les 10 ans qui viennent, est sans doute la dernière qui pourra se mettre la tête dans le sable. Bref, il s’agit de voir le mur sans être tétanisés, anesthésiés ou paralysés. Il s’agit de voir la fin dans les yeux et de faire ce que nous pouvons pour agir en sens contraire, même si nous sommes rationnellement convaincus que rien ne pourra empêcher la course folle que nous vivons, tant elle est liée au péché originel (qu’il fut si facile de décrier pendant deux siècles comme une affreuse invention cléricale alors qu’il n’est qu’une évidence, celle du mal que l’homme fait et choisit en sachant qu’il va dans le mur). Il s’agit d’agir, dans la sérénité, comme si rien ne dépendait de nous mais tout de Dieu tout en espérant, contre toute espérance, que notre action influera, un peu, sur le réel. Comment croire que l’humanité pourrait, soudainement, changer sa façon habituelle et égotique d’agir? Tant les croyants que les non croyants peuvent adopter des comportements déceptifs et aberrants face à la fin comme le montrait, avec puissance, The Children of Men de P.D. James. Tant les athées dangereux comme Musk ou Bezos (cités p. 11) niant l’évidence ou croyant en une science pour les happy few que des croyants négateurs de l’évidence, croyant en une solution miracle ou alors prêchant le retour des confréries de flagellants, ne sont pas à la hauteur du défi qui est le nôtre maintenant. Pourtant ces attitudes existent. Barrau a des formules fortes: « Notre génération est celle d’un crime contre l’avenir », qui concerne surtout nos descendants. La croissance est un mythe nuisible: « Il y a quelque chose de profondément débile – je n’ai pas de mot plus poli – à nommer croissance une éradication systématique de la vie sur la terre » (9). « Que les délinquants en costume osent qualifier de ‘progrès’ le délire techno-nihiliste qui consiste à attendre le bus en parcourant son mur Facebook et sa galerie Instagram, bercé par les notifications Snap et Twitch, à proximité d’une poubelle connectée, alors même que les chants d’oiseaux ont presque disparu et que lire devient une quasi-anomalie relève de l’aliénation » (9). Oui. Il faut sauver le monde. Oui, mais lequel? Il note que « la question de fond à se poser à ce propos est simple: ce monde mérite-t-il d’être sauvé? » Bref, ces pages donnent puissamment à penser et sur LE sujet qui est le nôtre comme humanité: « Un système peut-il permettre sa propre refondation en autorisant la révolution qui le récuserait? Rien n’est moins sûr » (31). Le ton est posé, calme, lucide, vrai. « La pensée qui ne dérange pas m’ennuie. La recherche de l’approbation de tous est pauvre. Il n’y a pas de grâce sans incompréhension ». C’est quasiment du pape François dans le texte 😉