Cette thèse est vraiment intéressante même s’il faut subir un ton d’autant plus étonnamment sûr de lui qu’il ignore toute la littérature en d’autres langues que l’anglais sur des questions anciennes et complexes. La moitié de l’ouvrage est consacrée aux questions méthodologiques sur le genre des Actes. Trop souvent, cette question de classification amène un dilemme dangereux : soit c’est une œuvre historiographique soit c’est un récit de fiction : « Si considérer les Actes comme une fiction est un pas de trop, un saut dans la direction de l’historiographie hellénistique est un pas de trop dans l’autre sens » (9). Bale défend, à juste titre je pense, l’idée que Actes mêle plusieurs genres de façon subtile et qu’il faut mettre au premier plan la cohérence narrative du texte. Trois chapitres (5, 6, 7) cherchent ensuite à mettre en pratique la lecture volontairement éclectique de l’auteur. Dans le cinquième, Bale se penche sur l’ambiguïté de l’annonce de Jésus en Ac 1,8 : « vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » : inclut-elle la mission aux païens ou pas ? Elle peut être comprise comme ne visant que les Juifs de la diaspora et telle semble être la compréhension des Douze si l’on en juge par la surprise de Pierre lors de la vision avant sa rencontre avec Corneille. Selon lui, Luc utilise un dispositif littéraire très connu dans le monde hellénistique, celui de ‘l’oracle ambigu’. Ainsi, on peut défendre l’idée selon laquelle l’ensemble du scénario des Actes est la mise en récit de la théologie exposée en Rm 9-11. Le rejet par les juifs (dans leur grande majorité) du Messie a été prévu par Dieu et a pour but le salut des nations. Certes, Actes n’exclut pas l’accomplissement final du salut de tout Israël (cf. Rm 11,26) mais se situe fermement dans cette étape du ‘temps des païens’. Dans le chapitre suivant, Bale fait le lien avec la question du statut apostolique de Paul. L’élection de Matthias a toujours mis dans l’embarras les commentateurs (de façon notable qu’ils soient historico-critiques – nous ne savons rien de cet homme – ou plutôt inscrits dans la lecture narrative, car pourquoi donner initialement autant d’espace à un homme qui n’aura aucun rôle par la suite ?). L’idée serait que tant l’interprétation de la parole de Jésus que le critère donné pour l’apostolat ne sont pas justes. Pierre et les Onze se trompent (ce qui n’est pas entièrement étonnant puisque l’Esprit Saint n’est pas eux et Dieu ne signale d’ailleurs pas son approbation du choix) et la suite du récit des Actes va révéler comment Dieu entend porter son salut jusqu’aux extrémités de la terre. C’est dès le début que Paul est en vue dans le récit : c’est en réalité Paul l’apôtre, choisi par Jésus et soutenu par l’Esprit Saint, qui réalisera le programme narratif énoncé en Ac 1,8. Nous avons ainsi une réponse à la question délicate : pourquoi Luc, si manifestement paulinien et qui présente si clairement Paul comme apôtre, ne le qualifie pas de tel (sinon, en passant, en Ac 14,4.14) ? La réponse est que Luc veut montrer que Paul est bien un apôtre (que doivent reconnaître tous ceux qui ne voudraient avoir comme apôtres les seuls Douze) mais cet objectif ne passe pas par la simple attribution d’un titre mais par l’exposition des faits qui prouvent le statut apostolique de Paul. Il va jusqu’à écrire que « Luc avait l’intention de dépeindre Paul comme le douzième apôtre désigné par Dieu » (216). Je ne sais si on peut le suivre jusque-là mais ce qui est sûr c’est que son argumentation devra être prise en compte par quiconque entend revenir sur la question du statut apostolique de Paul et de la construction littéraire des Actes. Le septième chapitre se penche sur l’humour dans les Actes, indiscutablement présent dans plusieurs épisodes (comme celui de Paul et Barnabé en Lycaonie ou de la chute d’Eutyque), mais affirme que le discours de Milet est construit comme une parodie qui se moque gentiment de Paul. Je n’ai pas été convaincu par les arguments présentés (qui ne mentionnent pas la question, pourtant abondamment traitée, des ‘discours d’adieux’ dans la culture du temps).
Recension parue dans les RSR en 2019