Gabriële Buffet fut une femme étonnante à la vie originale. Deux de ses arrière-petites-filles entreprennent de raconter sa vie avec enthousiasme. Celle qui allait devenir la femme de Francis Picabia, et la muse de nombreux peintres du début 20eme siècle, était au départ une musicienne, l’une des premières femmes à avoir été acceptée dans une classe de composition. À 27 ans, elle rencontre Francis Picabia, génie tourmenté et c’est l’entente d’abord artistique, intellectuelle. Pour lui, elle renonce à sa propre carrière jusque là poursuivie avec persévérance. C’est un beau portrait de femme que nous livrent les deux sœurs. Une femme qui a tout sacrifié, son talent, le soin de ses enfants, pour un homme génial et fou, attachant et égocentrique. Leur récit s’arrête quand sa vie avec Picabia s’achève. Rude mais compréhensible. Le grand-père des auteures mourra d’overdose à 27 ans. Que c’est dur de vivre quand on réalise que l’on a été ni voulu ni aimé… Une chose m’a frappé: ces hommes et ces femmes du monde artistique du début du 20ème siècle voulaient échapper au carcan bourgeois et vivre libres, échapper souvent à des enfances difficiles, sans parents ni affection, mais ils ont eux-mêmes reproduit ce schéma, se sont consacrés à créer – non sans de très nombreux excès en tout genre – l’usage presque permanent de la drogue dure chez Picabia est impressionnant – mais ont échoué dans le travail sur soi qui leur aurait, peut-être, permis de donner à leurs enfants ce qu’ils n’avaient pas eu. Le livre est écrit de façon journalistique mais demeure très vivant et honnête. Elles nous font part, chemin faisant, de ce qu’elles mêmes découvrent en écrivant sur leur famille. Une belle fenêtre sur un certain monde artistique français (et au-delà) au temps de Picasso et donc de Picabia…