La question des abus commis par des clercs au sein de l’Eglise catholique a conduit à dénoncer fortement le cléricalisme de cette communauté ecclésiale. Le pape François lui-même, notamment dans sa Lettre au peuple de Dieu (20 août 2018), a nommément désigné cette maladie ecclésiale. Pour autant, il ne semble pas vouloir supprimer l’antique structure ‘ministérielle’ distinguant les clercs des laïcs. Pour l’auteur, la source du mal ne remonte pas tant au concile de Trente qu’aux 2ème/3ème siècles (avant même Constantin et Nicée). Il instruit le dossier de l’écart croissant entre les communautés néotestamentaires, fondamentalement égalitaires, et la structure hiérarchique de l’Eglise, qui s’est encore renforcée au dernier millénaire, et que Vatican II a bousculé sans réussir à la remplacer. Il faut louer les qualités d’écriture et de clarté d’expression de l’ouvrage, qui le rendent à la fois vivant et accessible.Néanmoins, l’instruction se fait trop exclusivement à charge, provoquant de ce fait à l’occasion anachronismes et outrances. Si l’on estime que le salut du catholicisme passe par l’adoption pure et simple de la Réforme protestante au sens classique (faisant abstraction du fait que la culture de l’abus y a été tout aussi présente, comme de nombreuses enquêtes l’ont montré ces dernières décennies; cf. notamment, https://www.houstonchronicle.com/news/investigations/article/Southern-Baptist-sexual-abuse-spreads-as-leaders-13588038.php), on approuvera sans réserve cet ouvrage. Si l’on estime que, chemin faisant, il néglige, ou passe sous silence, de nombreux éléments indispensables au dossier qu’il instruit (par exemple celle de la place des ‘apôtres’ au premier siècle ou celle de la sociologie des organisations et des mécanismes de régulation institutionnels de toute institution grande ou petite), le livre n’atteindra pas son objectif. En outre, plus profondément, il ne traite jamais frontalement la question théologique redoutable qui grève son propos et qui consiste à supposer que l’Esprit Saint a déserté l’Eglise du Christ dès le deuxième siècle. Or, si l’Esprit Saint n’était ni avec les premiers Pères de l’Eglise ni à Chalcédoine, ni au Concile de Trente ou à Vatican II, pourquoi ‘diable’ serait-il davantage présent aujourd’hui ? L’enjeu capital de ce débat est pneumatologique.
L’une des intuitions majeures de son propos, et je serai le premier à reconnaître qu’il touche là un point capital, et que la conception triomphaliste, ou ultra cléricale, de l’Eglise a à voir avec l’enseignement du mépris et la théologie de la substitution et, plus globalement, la façon dont l’on conçoit la place d’Israël dans le dessein de Dieu. Néanmoins, paradoxalement, il reprend par deux fois l’idée, ou plutôt l’hypothèse, que c’est l’entrée de prêtres juifs dans l’Eglise après 70 qui a grandement contribué à la cléricalisation de l’Eglise. Son désir de renouer en profondeur le lien avec Israël est à la fois louable et capital mais, en reprenant cette hypothèse très hasardeuse, il renoue, involontairement, avec une vieille argumentation antijuive à la Harnack. On pourrait ajouter que, bien que ne disposant pas de clergé comme tel, les communautés juives, notamment orthodoxes, ont connu de nombreux scandales d’abus à l’instar de l’Eglise catholique (cf. en Australie par ex. https://www.theguardian.com/australia-news/2015/feb/19/rabbis-absolute-power-how-sex-abuse-tore-apart-australias-orthodox-jewish-community). Si Luther, et plus largement le protestantisme historique, avait consisté en un retour à l’Évangile, ces communautés chrétiennes n’auraient alors pas dû, selon l’auteur, connaître de culture de l’abus (tant spirituel que sexuel), de hiérarchies pesantes et n’auraient pas pu être antisémites, toutes propositions démenties par l’histoire. Plus que la présence d’une hiérarchie ordonnée, c’est au fond la question de l’autorité religieuse et de son rapport au sacré qui est davantage à interroger et cela traverse toutes les religions et toutes les confessions.
Dans son traitement du Nouveau Testament, les textes sont abordés de façon succincte, univoque et littérale, négligeant par exemple les différentes étapes de la littérature paulinienne. Le thème du ‘Fils de l’homme’ est paraphrasé de façon homilétique mais fort éloigné de ce que cela signifiait à l’époque par exemple. La façon dont il ne prend pas en compte les épîtres trito-pauliniennes, où s’énoncent clairement les structures de gouvernement au sein de la communauté, au profit d’une lecture trop rapide de quelques versets de Paul (au fond réduit à Romains et Ga 3,28, unique verset d’ailleurs longuement analysé) traduit une réduction, typiquement luthérienne, du Nouveau Testament au seul Paul, en outre, si ce n’est caricaturé, du moins excessivement simplifié. Par son caractère unilatéral, où l’équilibre théologique n’est pas assuré, ce qui entraîne parfois des formulations ‘curieuses’ (je n’en fais pas la liste ici mais le lecteur les repèrera), l’ouvrage perd de sa force en éliminant tout ce qui pourrait, ne fut-ce que partiellement, affaiblir sa thèse : « La déclérisation suppose l’abolition de la structure hiérarchique de l’Eglise » (241). Demeure, in fine, l’impression d’une vision, touchante certes mais au fond extrêmement romantique, du premier christianisme, comme si les premiers chrétiens n’avaient pas connu d’autorités fortes ou de rivalités redoutables, ce dont le Nouveau Testament lui-même témoigne pourtant abondamment. L’ouvrage ne convaincra donc que les convaincus, ce qui est dommage car il manquera ainsi l’occasion de contribuer au débat des évolutions souhaitables dans l’Eglise catholique, son propos premier.