Cet ouvrage appartient à une catégorie fort rare: il s’agit en effet d’un essai à la fois concis, original et interdisciplinaire sur un sujet ancien et très débattu: le sens et la place du ‘sacrifice’ dans les affaires humaines. Il part d’une analyse de la place du ‘sacrifice à’ dans la tradition biblique, en dialogue avec les grands noms de ce domaine, à commencer bien sûr par René Girard. Dans un deuxième volet, il se penche sur les Etats modernes et leur incroyable propension à mobiliser la capacité humaine de se ‘sacrifier pour’. Comment passe-t-on, dans les langues anciennes comme dans les langues modernes, de l’antique notion d’un sacrifice offert à la divinité à l’idée que l’on peut, voire doit, se sacrifier soi-même pour autrui ou pour une cause? En passant, l’auteur aborde la notion maussienne du don et du contredon, la conception du martyr comme un acte mystique d’amour à partir de l’époque chrétienne (en étant proche du Mourir pour Dieu de Daniel Boyarin, Bayard, 2004), la description de l’aumône faite au pauvre comme un prêt fait directement à Dieu et qui fait de Dieu notre débiteur et bien d’autres questions. Sur cet itinéraire en partie mystérieux, Halbertal se livre à des analyses toujours fines, claires et suggestives. Son propos ne vise pas à proposer une nouvelle théorie globale du sacrifice (à la façon d’un Girard) mais bien plutôt à prendre conscience de la place de cette puissante notion dans des domaines fort éloignés en apparence du ‘religieux’. Certes, la première partie sera plus immédiatement accessible au lecteur croyant mais la seconde pourra également l’intéresser tant elle touche à l’actualité et souligne à juste titre la capacité (toujours actuelle) de l’Etat à « épuiser et monopoliser le champ du transcendant°», devenant « un faux dieu, offrant au citoyen loyal un sentiment fourvoyé de rédemption°» (182).