Une série (ABC) de Marc Cherry avec Teri Hatcher, Felicity Huffman, Marcia Cross et Eva Longoria (2004). La vie de femmes d’une banlieue américaine blanche ordinaire. Bien écrite, avec un très intéressant dispositif de voice-over, et un mystère criminel sous-jacent, cette série a connu un grand et mérité succès. Là encore il vaut mieux se limiter aux deux premières saisons (à la rigueur 5).
En 2008 je la commentais ainsi pour les Terminales de Franklin: « Vous connaissez presque tous cette vision de la suburbia américaine. Il s’agit d’un regard très dur sur la vie de femmes de la middle class blanche. Sam Mendes avait fait un film noir et fort en même temps sur ce thème avec American Beauty. Ici nous avons une vision ironique et sceptique.
Deux choses à relever tout d’abord. Deux dispositifs si l’on veut : un, le générique qui mêle deux thèmes : d’une part Adam et Eve sous un arbre plein de fruits bien rouges. Une pomme écrase Adam… Ensuite apparaissent des publicités télévisées des années 50 destinées à la ménagère blanche. Le thème est introduit : des femmes dévoreuses d’hommes et en même temps enfermées dans une vie qui génère l’ennui. Quelle image de la femme est donnée ? Ce sont des femmes superficielles, chacune illustrant jusqu’à la caricature un défaut socialement féminin . Apparemment très drôle … Pas tant que ca en fait, car, nous ne faisons pas que rire. Il y aussi un désespoir très fort, un cynisme sur les relations humaines ; ces femmes théoriquement amies, sont en réalité très seules ; en quête d’un désir totalement illusoire et qui les fuit. A peine croit-elle l’avoir trouvé, qu’il lui échappe. Les hommes ne s’en sortent pas beaucoup mieux il est vrai. Ils sont en général des faire-valoir assez immatures quant ils ne sont pas pathétiquement ridicules (c’est à leurs ‘amies’ que les DH parlent pas à leurs hommes). Il n’est peut-être pas sans intérêt de savoir que le créateur et scénariste Marc Cherry est homosexuel et qu’il reconnaît s’être inspiré de sa propre famille avec le personnage de Bree …
Le deuxième dispositif est celui dit du voice-over c’est-à-dire de la voix finale qui commente l’épisode. C’est celle de la suicidée de la première saison qui énonce des vérités de façon sentencieuse. Elle parle à la façon des vieilles bibles anglaises. Elle donne ainsi une couleur quasi métaphysique ou une portée plus grande aux diverses péripéties (tès nombreuses) que nous venons de voir ; souvent un épisode est sensé illustrer une vérité morale du type « la passion est le moteur le plus important qui donne sens à notre vie » (S 3 18). Sa voix sardonique contribue beaucoup à l’effet final de l’épisode. Un journaliste remarque : « Because Mary Alice [on ‘Desperate Housewives’] is reporting on her friends’ misery from the Great Beyond, we tend to think she’s God-like in her objectivity. She constantly slings truisms, as if she has been awarded a PhD from the School of Human Wisdom: ‘People by their very nature are always on the lookout for intruders’, she pronounces, or ‘Suburbia is a Battleground’°» (Matthew Gilbert, “Voice-overs speak to viewers”, Boston Globe, Nov. 11, 2004). Les vérités profondes ne sont pas toujours transcendantes mais elles sont dites de façon absolue! « Suburbia is a battle ground, an arena for all forms of domestic combat. Husbands clash with wives, parents cross swords with children, but… the bloodiest battles often involve women and their mother-in-laws » (S1, 6).
L’idée est de montrer que l’enfer de la jungle n’est rien en comparaison de la vie à Wisteria Lane (pas très subtil jeu de mots sur l’hystérie des femmes… « allée des glycines »). Comme le dit un bloggeur : « Adultère, séduction, mensonges et hypocrisie, Wisteria Lane devient, le temps d’une soirée, le théâtre de toutes les mesquineries » de fait! On est frappé par l’absence de véritable amitié. Mais elles sont censées l’être et c’est cela qui donne de la force à l’action comme Aristote le remarque : « Tous les cas où c’est entre personnes amies que se produisent les événements tragiques… ces cas-là sont précisément ceux qu’il faut rechercher » (Poet 1453b). La manipulation de l’autre est au cœur de l’action. Tous les moyens semblent être bons pour arriver à une fin déterminée comme bonne : garder un homme par exemple. La vérité sort toujours contrainte et forcée. C’est une vision très pessimiste de la nature humaine qui semble mue uniquement par des appétits . De fait ces femmes n’ont aucune vie intellectuelle ou spirituelle (Quant par hasard, l’une va demander conseil à un pasteur la situation devient scabreuse). Une jeune chercheuse remarque : « A aucun moment l’une d’entre elle n’a d’activités culturelles. Femmes intelligentes et pleines de ressources, elles n’en sont pas pour autant intellectuelles ou intéressées à la culture, sous quelque forme que ce soit » (MJ Friche). Même leur vie professionnelle qui existe pour certaines est quasi absente (qui connaît la profession de Susan ??(Dessinatrice de livres d’enfants)). La vie associative est totalement futile. On peut se demander comment une série qui fait la caricature des pires stéréotypes sociaux sur les femmes peut-elle marcher aussi bien ?? La vision des femmes qui se dégage de celles que l’on a un peu de mal à appeler des héroïnes est terriblement réductrice.
Il y a une sorte de désespoir dans cette quête éperdue, sans boussole intérieure et dont on pressent qu’elle ne débouchera jamais. Mary Alice parle ainsi de sa vie: « I was living a life of quiet desperation… To me, each day was gray and meaningless » (S 1, 23). Il y a un désespoir dans Desperate Housewives et je dirais presque que c’est ce qui la rend supportable au final. Un blogueur écrit : « These women have everything anyone could ever want. And yet, there is still something missing, so every day is a (desperate) search to connect, to find something meaningful in their lives » (M. Broaddus).
On ne peut s’empêcher d’avoir de la compassion pour ces femmes comme on a de la pitié pour les moustiques qui s’écrasent sur les lampes les soirs d’été. « [Les trentenaires mettent surtout l’accent sur la psychologie des personnages, qui semblent toutes ressentir un manque qui les empêchent d’être heureuses : manque de tolérance pour Bree, manque d’organisation pour Lynette, manque de profondeur pour Edie, manque de sens à sa vie pour Gabrielle.] Elles apparaissent toutes à la recherche d’un bonheur inaccessible » (MJ Friche). Après tout le mot ‘désespérées’ est dans le titre et n’est pas qu’une boutade…