Un film de Nurith Aviv. En 1995, alors que j’étudiais dans un ulpan de Jérusalem, j’avais rencontré un jeune américain sympathique et polyglotte, mais, à ma grande surprise, il considérait comme une bonne chose qu’un jour le monde entier parle anglais. Il semblait ne pas percevoir l’extraordinaire richesse humaine que représentent ces milliers de langues humaines dont 90% vont disparaître ou sont en train de disparaître et que c’était un terrible appauvrissement de notre humanité. Or chaque langue est un monde, est riche d’une approche spécifique du réel, est un cadeau. Voir le monde en plusieurs langues, c’est avoir un rapport plus riche, plus coloré, plus nourrissant au monde. Dans ce court film – fidèle à son dispositif habituel faisant se succéder des personnes qu’on laisse parler en une seule séquence -, Nurith évoque ces langues judéo-arabes (et judéo-persan) qui furent si nombreuses et qui disparaissent peu à peu car, comme pour le yiddish (thème de son film précédent et qui l’a logiquement amené à celui-ci), le monde humain, les réalités sociales qui les portaient (à Tanger, avec la haketia, à Salonique avec le judezmo (ou ladino)) ont disparu. En parlant de ces langues entendues dans l’enfance, parlées par la mère ou la grand mère, ces témoins nous permettent de sentir plus viscéralement ce rapport charnel, concret, au monde qu’offre une langue. Fils et frère de traductrices, ayant fait un travail sur Après Babel de G. Steiner en 1er cycle, ce thème de la diversité des langues et des mystères de la traduction me parle avec force. Mais je pense que chaque spectateur sera rejoint dans on expérience intime des langues et notamment les langues (ou dialectes ou accents etc.) de ses parents et grands parents. A ne pas manquer.