Une série (CBS) de Meredith Stiehm avec Kathryn Morris, John Finn, Jeremy Ratchford, Thom Barry (2004-2010). A Philadelphie, une femme policière, Lilly Rush, enquête sur des affaires classées. Remarquablement écrit et jouée les premières saisons sont remarquables. Particulièrement réussies sont les fins où une chanson de l’époque du crime résume l’atmosphère et où l’on voit la victime heureuse: c’est un merveilleux de catharsis, de justice et de réparation.
J’en avais parlé ainsi aux Terminales de Franklin en 2008: « Un format court, 42’. Tout tient sur un seul épisode. Nous avons accès à l’histoire d’un crime qui remonte parfois très loin dans le temps. L’affaire était enterrée et elle resurgit le plus souvent parce que ‘l’un des protagonistes parle ou veut rouvrir l’enquête. Nous avons accès en partie aux questions existentielles des membres de l’équipe et notamment de son héroïne centrale Lily Rush. C’est une femme très seule qui a eu une enfance extrêmement dure avec une mère pas à la hauteur, une sœur assez paumée. Elle poursuit dans son travail d’enquête une recherche personnelle, une forme de rédemption. Son travail est largement ce qui donne sens à sa vie, ce qui laisse peu ou pas de place pour un mari ou des enfants… Elle est intelligente et forte et en même temps profondément vulnérable.
Mais la force de la série n’est à mon sens ni dans les personnages ni dans les intrigues… Elle est dans l’émotion que crée la fin de chaque épisode dans lequel tout l’histoire est comme récapitulée. Cette fin correspond à ce que dit Aristote sur un sens d’accomplissement. Nus voyons au ralenti les protagonistes de l’histoire et soudain apparaît dans le regard de l’un des personnages souvent le plus proche du mort. Le mort apparaît vivant dans ce que fut le bien dans sa vie, souvent souriant. C’est un corps apaisé, une âme apaisée qui se donne à voir fugitivement. Il permet aux vivants de vivre en paix. Une page est vraiment tournée. Justice a été faite. En ce sens, une vie ne vaut peut-être qu’à être racontée. Paul Ricoeur écrit : « Nous racontons des histoires parce que finalement les vies humaines ont besoin et méritent d’être racontées. Cette remarque prend toute sa force quand nous évoquons la nécessité de sauver l’histoire des vaincus et des perdants. Toute l’histoire de la souffrance crie vengeance et appelle récit » (TR I, p. 115). Le philosophe Paul Ricoeur a beaucoup réfléchi sur la façon dont les récits nous permettent d’ordonner notre vie. Comment être soi-même sans rester le même ? Pour lui, la notion d’identité narrative est centrale. Elle relie notre capacité à être nous-mêmes et notre faculté de raconter une histoire dans laquelle nous puissions nous reconnaître. «°Un sujet se reconnaît dans l’histoire qu’il se raconte à lui-même sur lui-même°» (TR III, 356). C’est ce que les psychanalystes aident d’ailleurs leurs patients à faire : énoncer un récit de leur vie qui fasse sens et qu’ils puissent assumer… Ricoeur a aussi repris à Aristote l’importance de l’accomplissement, « The Sense of an Ending » comme a dit un auteur (Paul Kermode). La fin éclaire tout ce qui précède. Nous avons soif d’une histoire qui se termine ! Pas forcément bien d’ailleurs mais qu’il y ait un sens qui se dégage d’une fin : C’est pourquoi Aristote dit de la tragédie : « Nous avons établi que la tragédie est imitation d’une action menée jusqu’à sa fin et formant un tout, ayant une certaine étendue […]. Forme un tout, ce qui a commencement, milieu et fin. […] Ainsi les histoires bien agencées ne doivent ni commencer au hasard, mais se conformer aux principes que l’on vient d’énoncer » (Poet, 1450b).
Cold case série a pour devise : “Time never runs out for justice” (le temps de faire justice n’est jamais fini). Elle répond à la soif profonde de justice que porte l’être humain. Les romans policiers sont basés sur cette quête. Soif de justice et soif de vérité. Nous cherchons la vérité. Connaître la vérité apaise, même quand on a perdu une personne chère. Certains grands auteurs de romans policiers ont bien raconté cette assomption sous-jacente à leur écriture. Dans un monde marqué par le mal, parfois très profondément, on ne peut renoncer à désirer la justice. Bien sûr, le monde réel est marqué par le gris. Ce qui est marquant dans ces romans, ou dans les films et séries basées sur ce genre, c’est que malgré toutes les circonstances atténuantes que l’on veut on touche à l’interdit le plus fondamental ; celui du meurtre (car un polar digne de ce nom doit parler de meurtres, pas d’autres crimes moins graves). Tout être a droit à la vie. Souvent dans Cold case non seulement les proches de la victime ne sont pas en paix parfois des années après la mort de celui qu’elles aimaient (plus ou moins bien mais cela est secondaire ici) mais le coupable lui-même n’est pas en paix et il éprouve souvent une sorte de rédemption à expliquer ce qui s’est passé, ce qu’il a fait. Le cas du coupable qui ne veut rien dire et rien expliquer serait le cas le plus violent mais il est extrêmement rare. « justice is a terrible thing but injustice is worse (la justice est une chose terrible mais l’injustice est pire) » écrit D. Sayers. Elle ajoute « Les romans policiers contiennent un rêve de justice. Ils projettent une vision du monde dans lequel les torts sont redressés et les méchants trahis par des indices dont ils ignoraient qu’ils les laissaient. Un monde dans lequel les meurtriers sont pris… les victimes innocentes vengées » Un personnage lui objecte alors « mais c’est juste une vision. Le monde dans lequel nous vivons n’est pas comme cela » Elle répond : « Les romans policiers gardent vivante une vision du monde qui devrait être vraie. Bien sûr les gens les lisent pour le fun, pour le divertissement, comme ils font des mots croisés. Mais derrière ils nourrissent une faim de justice » Et un théologien de commenter : ils reposent sur « la présomption que la justice est plus profonde que l’injustice. » PD James observe que le roman policier nous fournit comme inconsciemment la réassurance que nous visons dans un univers moralement compréhensible et que nous avons une obligation « to try to put things right ». C’est exactement la conviction minimale qui soutient le travail, la vocation pourrait-on dire, de Lily Rush. La chose la plus importante à la fin n’est pas la punition du coupable mais la réconciliation que fait la vérité. C’est une conviction profondément chrétienne. Pas de liberté sans vérité. Pas de paix sans justice.