Un film de Damien Chazelle avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva. Entre 1926 et 1932, Hollywood vit un moment décisif de son histoire: la passage du muet au parlant et la sortie d’une période débridée pour des productions un peu plus ‘sages’ (le ‘code Hays’, co-écrit par un jésuite soit dit en passant, sera en vigueur à partir de 1934). Aujourd’hui, Chazelle peut tout se permettre à Hollywood et il s’est tout permis. Hélas. les deux premières heures du film sont un maelström impressionnant, baroque, excessif, par moments génial mais la dernière heure est un échec (narratif et cinématographique): plusieurs fins s’enchaînent (des éléments essentiels sont simplement déduits) et l’intensité baisse. Le film est interdit aux moins de 17 ans aux USA – et franchement on comprend pourquoi! – il y a des scènes à la limite de l’insoutenable et l’orgie à la « Satyricon » de 45 minutes qui ouvre le film donne un ton qui se maintiendra (les mots du critique du Monde de 1969 valent de même ici: « Prise séparément, chaque image nous émerveille. Mais, au-delà de cet émerveillement, nous ne ressentons rien, sinon le vague effroi et le triste dégoût que peut provoquer une réunion de monstres au milieu de cadavres »). Margot Robbie est électrique, Diego Calva invraisemblablement honnête et sympathique, traversant un cauchemar tout en y participant (c’est un des mystères du film: ces trois personnages sympathiques sont plutôt attachants tout en se mouvant au milieu d’une corruption absolue). Chazelle a voulu lancer un hymne vibrant, total, omnipotent au cinéma: le cinéma qui permet de sortir de sa petite vie pour entrer dans le monde où la « gloire » donnerait sens à la vie, enfin. Ce film est ainsi éminemment métaphysique et révèle du même coup le pessimisme profond de Chazelle (déjà visible dans ses précédents films mais moins brutalement): seule la mort gagne, toujours, et la seule façon de l’oublier est de se perdre dans le divertissement au sens pascalien (ou, pour le dire avec Ovide, » Omne animal triste post coïtum »). Régulièrement d’ailleurs, le monde enchanté des paillettes d’Hollywood exige son quota de vies humaines et meurent des petits. Donc esthétiquement impressionnant, magistralement interprété, incroyablement ambitieux mais, in fine, boursoufflé et vain…
Des critiques français loin de mon horizon personnel ont des propos encore plus sévères: Xavier Leherpeur dit: « C’est un ramassis de vulgarités, de métaphores à deux balles, de facilités de mises en scènes dérisoires’. […] Le mec n’a aucune originalité, et le problème, c’est que quand on a en mémoire les cinéastes dont il s’inspire, on s’aperçoit à quel point il n’a aucun talent de mise en scène !
C’est une série d’abjections, de regards obliques sur des gens dépravés. Le regard sur les femmes est limite : Margot Robbie passe pour une imbécile. Sans compter qu’il n’a aucune tendresse pour ses personnages. Et puis quand on regarde la scène de bacchanale interminable au début où tout le monde pisse, chie, éjacule sur tout le monde, ça n’a aucun intérêt… On cherche désespérément un axe de caméra qui veuille dire quelque chose, perdu dans ce salmigondis de mouvements de caméra qui vont dans tous les sens, montés à la serpe dans la salle de montage ». Ou encore Michel Ciment : « Tout est de trop. Ce cinéaste n’a absolument pas les moyens de ses ambitions. Pourtant l’ambition est folle, le film est bourré de références. Visiblement, il veut être l’éléphant dans le magasin de porcelaine et faire le grand film américain, mais malheureusement, il en est totalement incapable. Je salue l’ambition qui est énorme, mais malheureusement, c’est un costard trop grand pour lui, il n’y arrive pas ». Il n’y a pas grand chose à ajouter…